Les amis, aujourd'hui je vous propose de quitter quelques instants notre cher Luna afin de vous faire découvrir un autre univers.Voici une petite nouvelle que j'avais écrite il y à quelques temps et qui j'espère vous plaira. N'hésitez pas à partager et à me laisser des commentaires pour me dire ce que vous en pensez. Je vous embrasse...
LES GRIFFES DE
L ANGE
Tout le monde s’agitait de tous les côtés et les
couloirs, semblables à de petites autoroutes, étaient séparés en deux allées
bien distinctes afin de créer une circulation a double sens.
Un « bordel »
organisé avait pris place en ce lundi matin, dans cette entreprise du quartier
d’affaire de Boulogne Billancourt.
Composée en majorité de chinois expatriés,
leurs petits pas grouillaient sur le sol en cadence et telle une ruche en
préparation du fameux nectar, rien ne semblait pouvoir les faire dévier de leur
trajectoire.
Aujourd’hui ils déménageaient. Ils n’allaient pas très loin, juste
de l’autre côté de la rue mais, déplacer une ruche au complet demande de la
rigueur et de l organisation.
Chacun avait pour mission de préparer son petit
carton et c’était l’occasion de faire un brin d’ordre et de ménage, ce qu’il
faut avouer, n’était pas vraiment leur fort.
Des feuilles de thé vieilles de
plusieurs années accompagnaient leurs fameux bonbons à la viande, dont se
dégageait une odeur de pâtée pour chien.
Les poubelles se remplissaient
d’objets improbables, fausses fleurs, tasses en porcelaines, petites tour
Eiffel en plastique, pelotes de laine, gobelets fossilisés, sable et
coquillages de Deauville, calendriers de l’an 2000 et autres curiosités.
. Les bureaux se vidaient petit à petit et
chacun faisait ses adieux à l’endroit qui l’avait si bien accueilli pendant ces
temps de dur labeur. Les petits pas se faisaient de plus en plus rares et des
détritus commençaient à envahir le sol.
Quelques meubles vides traînaient par
ci par là et une atmosphère inquiétante s’installait.
Le silence se propageait
doucement et l’endroit prenait des airs fantomatiques.
Elsa était une jeune femme volontaire. Une battante qui, lorsqu'elle marchait dans la rue regardait droit devant elle, la tête haute et
le buste bien droit. Son regard profond, surmonté de longs cils recourbés,
était franc et perçant.
Arrivée par hasard au poste le plus bas, en quelques mois elle
s’était fait un nom. Elle avait rapidement monté les échelons grâce à sa détermination et avait su se rendre indispensable et user de son charme
pour arriver à ses fins.
Dotée de cette élégance naturelle qui ne s’apprend
pas, elle laissait une empreinte sur les gens en quelques instants et ne
passait jamais inaperçu. On sentait sa présence dans une pièce, son charisme
était puissant et elle semblait promise à faire de grandes choses.
Elle avait
su apprivoiser ce peuple si mystérieux en s’adaptant à leur mode de vie et à
leur façon de travailler. Tout en gardant ses distances elle était prévenante,
souriante, toujours prête à leur rendre service. Elle ne refusait jamais de goûter
à leurs spécialités culinaires dont ils étaient si fiers, même si parfois le
dégoût la prenait si fort qu’elle ne pouvait réprimer des envies de vomir. Ils
n’avaient pas non plus la même notion de l’hygiène qu’elle, et parfois, elle ne
pouvait supporter leur insoutenable odeur. Jamais elle ne leur montrait le dégoût que parfois ils lui inspiraient et toujours, elle gardait la tête haute,
le sourire large et les narines dilatées.
Ce jour là, en découvrant le spectacle des petits chinois
s’agitant de façon si ordonnée, elle ne put réprimer un sourire et tout en gardant
sa volupté et sa lenteur, elle s’assit tranquillement à son bureau.
Elle n’était
pas vraiment pressée de ranger ses affaires, celles-ci se limitant à deux trois
dossiers et quelques stylos. Rien de
personnel n’avait envahi l'espace qui lui servait de bureau car elle mettait un
point d’honneur à dresser un mur infranchissable entre ces deux mondes.
Elle
était mystérieuse pour ses collègues qui ne cessaient d’échafauder des théories
les plus saugrenues les unes les autres.
Certains se plaisaient à fantasmer sur
elle en secret l’imaginant vêtue de cuir ou dormant dans des draps de satin. On
la supposait mariée à un prince italien ou a un coureur automobile. Qu’avait
elle fait avant d’être là ? Actrice de films porno ou jet-setteuse
déchue ?
Elle ne dévoilait rien d’elle-même et entretenait les rumeurs en
lançant de faux indices afin de brouiller les pistes.
Visiblement cela
l’amusait et elle prenait un malin plaisir à jouer ce jeu là.
Elle ne perdait
jamais son sang froid et son visage était comme du marbre. Seuls ses yeux, parfois, exprimaient l’émotion qui la
traversait. Elle jetait des éclairs avec son regard et aurait facilement pu
tuer d’un coup d’œil. Elle avait compris très tôt qu’elle n’avait pas besoin de
parler beaucoup pour se faire entendre, ce qui l’arrangeait car elle n’était pas
de nature très volubile.
Sa façon de bouger était remarquable, ses gestes
étaient lents et mesurés, elle mettait sa conscience dans chacun de ses
mouvements et ils semblaient d’une légèreté et d’une précision hors du commun.
Chacune de ses attitudes semblait accompagnée d’une intention spéciale et importante.
Ses mains étaient longues et ses doigts fins, couronnés par de beaux ongles
manucurés et pointus.
Il émanait d’elle quelque chose de spécial qui la rendait
différente, qui impressionnait et déstabilisait les hommes. Elle les intimidait
et il leur semblait qu’elle lisait à travers eux de son regard perçant.
Il ne restait pratiquement plus qu’elle et les
déménageurs rôdaient autour de son bureau en lui lançant de petits regards en
coin, qui signifiaient « tu vas te dépêcher qu’on en
finisse ! »
Elle les gratifia d’un regard enjôleur qui les calma, puis elle leur demanda s’ils
pouvaient être assez aimables pour lui porter son petit carton dans son nouveau
bureau.
Son sourire les mit à terre, ils se précipitèrent pour l’aider et comme
hypnotisés, ils restèrent près d’elle, « au cas où elle aurait besoin de
quelque chose ».
Elle, satisfaite, pensait que les hommes étaient bien
stupides et qu’ils vendraient leur âme pour un jolie minois ou un beau
postérieur. Elle les méprisait pour cela et en usait et abusait sans aucun
complexe.
Au moment où ils allaient franchir pour la dernière fois
le seuil de la porte, un cri perçant retenti au bout du couloir.
Le déménageur qui
était en train de draguer assez lourdement Elsa, se retrouva la bouche béante
et ils se regardèrent, figés, pendant une fraction de seconde.
Elle fut la
première à reprendre ses esprits et dit:
« Je crois que ça vient de
là ! »
Ils se précipitèrent vers l’endroit d’où provenait le cri et
découvrirent une femme prostrée dans un coin, les mains posées sur sa bouche en
signe d’effroi.
Ses yeux exorbités regardaient en direction du placard à
fournitures. Il était profond et sombre et de prime abord, rien ne semblait
anormal. Elsa appuya sur la minuterie et la lumière leur révéla un spectacle
effrayant.
Un homme nu gisait sur le sol. Il avait un trou entre les deux yeux.
Ceux-ci étaient resté ouverts et l’effroi y était visible. Un filet de sang séché
coulait sur l’arête de son nez. Son corps était entièrement recouvert de
profondes griffures et ses poignets étaient attachés par une corde.
Il avait
commencé à prendre un teint violacé et le marron de ses yeux s’était délavé en
un vert kaki cerclé de rouge.
Après quelques secondes d’un silence
interminable, troublé par le seul cliquetis de la minuterie, l’un des
déménageurs sortit son portable en tremblant et appela la police.
Celle-ci, ne
mit pas longtemps à arriver sur les lieux et découvrit qu’un attroupement s’était
déjà formé en bas de l’immeuble. La nouvelle avait circulé à vitesse grand V et
les bavardages incessants créaient un brouhaha assourdissant.
On savait que
quelque chose de terrible était arrivé et les théories les plus abracadabrantesques
étaient imaginées : On avait découvert un butin de la mafia chinoise, des
kilos d’héroïne, des armes, des billets en dollars ! Il y avait une arme
bactériologique qui n’allait pas tarder à exploser et contaminer tout le monde,
si le commando missionné n’arrivait pas à la désamorcer ! Un Homme aux
abois avait pris en otage le PDG de la société car il l’avait renvoyé, le
conduisant à sa chute. Il avait perdu son toit, sa famille, dormait dans la rue
et ne pouvait plus approcher ses enfants. Il avait sombré dans l’alcool étant
obligé de se prostituer pour pouvoir continuer à payer le litre de whisky dont
il avait besoin chaque jour !...
La police avait demandé que l’on ne touche à rien et que
les personnes présentes sur les lieux ne s’éloignent pas. Une ambulance était arrivée
quelques minutes après et attendait que la police fasse son travail pour pouvoir
emmener le corps mutilé.
Il fallait relever les empreintes, les éventuels
morceaux de tissus ou n’importe quel indice qu’aurait pu laisser par imprudence
l’assassin.
Prendre des photos, mettre des poils dans des tubes à essais,
pulvériser des produits chimiques et attendre les réactions. Marcher
sur des œufs et ne rien déplacer, tel était le quotidien de Valérie, agent de
la police scientifique.
Son intelligence était aussi impressionnante que sa
laideur. Elle avait développé une grande discrétion et c’est à peine si on
pouvait entendre le son de sa voix. Ses pas étaient comme du velours et on
l’avait même surnommé, la femme invisible.
Si tel n’avait pas été le cas, on
aurait pu observer derrières ses énormes lunettes papillons, de petits yeux
bleus légèrement délavés par tous les livres qu’elle avait ingurgité. Elle n’avait
pas beaucoup de cheveux, ce qui l’obligeait à les porter très court. Leur
couleur entre le châtain clair et le roux lui donnait un teint livide et
un petit air d’oiseau déplumé. Son extrême maigreur, faisait ressortir
ostensiblement les os de son crâne, ce qui lui donnait un air presque
effrayant. Les gens se moquaient d’elle ouvertement et ne prenaient même plus
la peine d’attendre qu’elle ait quitté la pièce. Elle s’était résignée et n'y faisait plus attention. Quand elle se regardait dans un miroir, elle les
comprenait.
Que ferait elle à leur place en voyant une personne si laide, si
piteuse et avec si peu d’attrait ? Elle s’en moquerait sûrement aussi.
Elle
s’était habituée à être seule, sans amour et sans joie. Vivant une vie sans
intérêt, elle pensait souvent à y mettre fin, car personne ne souffrirait de
son absence.
Pourquoi ne le faisait elle pas ? La peur peut être ? Ce
n’était pas encore le moment, quelque chose la retenait encore.
Elle examina le placard dans ses moindres recoins, et
pris bien soin de relever chaque détail important. Il avait été vidé totalement la semaine précédente en vue du déménagement, et seules restaient les étagères
qui avaient servi à empiler les cahiers, classeurs, trieuses, stylos et autres éléments indispensables à une vie de bureaucrate. Des trombones abandonnés et autres
saletés gisaient sur la moquette couleur abricot moisi. L’usage de l’aspirateur
n’était visiblement pas connu des services de ménage engagés par cette société.
Décidément la tache serait rude. Il y avait beaucoup d’empreintes différentes
et des résidus corporels qu’il faudrait analyser une fois arrivée au labo. Elle
découvrit un poil de chat et
fut prise d’une crise aiguë d éternuement.
Accroupie par terre à côté du cadavre, elle leva la tête
et eut un tressaillement imperceptible.
Raphaël était là, devant elle et la regardait de ses grands yeux verts
émeraude.
Dans l’entrebâillement de la porte, son apparition était comme providentielle
et il sembla à Valérie qu’elle venait de mourir et de voir un ange.
Elle
l’avait aimé tout de suite, sa beauté l’avait subjuguée et lorsqu'elle le
voyait, son cœur se décrochait de sa poitrine et faisait des bonds, qui
l’amenaient parfois au bord du vomissement.
A vrai dire, elle ne savait pas
très bien si elle l’aimait, le désirait, l’admirait ou les trois à la fois. C’était
sûrement ça, c’était les trois. Jamais un homme ne l’avait regardé comme lui.
Elle ne se faisait pas d’illusion, bien sûr, mais au moins, elle avait l’impression
qu’elle ne le dégoûtait pas. Il avait toujours était gentil avec elle. Jamais
il ne s’était moqué d’elle et il semblait la plaindre et la comprendre. Son
regard était doux, gentil et rempli de compassion.
Raphaël était donc chargé de
cette affaire et, timidement, elle lui donna ses premières remarques. Le tueur
avait attaché la victime et, froidement avait tiré une balle entre les deux
yeux qui avait été fatale. Mort sur le coup la victime avait été mutilée post
mortem par un objet tranchant et pointu, peut être une lame de couteau. Il
faudrait de toute façon avoir les résultats du labo pour plus de précisions.
Raphaël l’écouta attentivement et lorsqu'elle eut terminé son rapport, ne lui
posa qu’une seule question:
« Quelle est ton intuition? Dis-moi ce que tu
en penses, ça m’intéresse. »
Il
termina par un sourire magnifique, franc et bienveillant. Jamais on ne lui
demandait son avis et elle en fut tellement bouleversée et surprise qu’elle
bafouillât et sa voix s’étrangla dans sa gorge. Il lui tendit une petite
bouteille d’eau et posa sa main sur son dos comme pour l’aider à mieux
respirer. Après avoir repris doucement ses esprits et sentant encore la chaleur
de sa main marquée pour toujours au fer rouge dans son dos, elle lui dit
qu’elle pensait que cela avait été commis par une femme et que la piste du
crime passionnel lui semblait envisageable.
« Qu’est ce qui te fait supposer ça ? »
« La première chose, est la minuscule trace de rouge
à lèvre sur sa bouche, en partie effacée, mais pas suffisamment. Négligence de
l’assassin sûrement.
La deuxième, ce sont ces traces qu’il a sur le corps. On dirait des
griffures mais dans ce cas, cela suppose des ongles très longs et très pointus.
Les analyses nous en diront plus à ce sujet. La troisième n‘est pas très
scientifique mais… »
« Intuition féminine peut être ? » Lui
lança t il accompagné d’un clin d’œil complice.
Elle rougit, sa température monta à quarante, et d’un
sourire timide elle répondit :
« On peut dire ça comme ça ! » Pensant
que, finalement à part l’intuition elle n’avait pas grand-chose de féminin.
« C’est son regard resté ouvert et figé à l’arrêt du cœur ; il semble
soumis. J’ai déjà observé cela chez des hommes qui regardent certaines femmes.»
« Ah et quel genre de femme ? »
« Le genre, très belle et très sûre d’elle. Qui
regarde les hommes avec mépris, mais se font adorer d’eux. »
Un silence s’ensuivit.
Raphaël sembla troublé et se plongea dans sa réflexion. Il observa le corps de
l’homme un long moment. Lorsqu’il était comme ça, il ne fallait pas le déranger
et interrompre le cours de sa pensée. Sa brillante intelligence en aurait été
contrariée, elle le savait et prit le parti de se taire. Il sorti enfin de sa
méditation et la remercia, lui demanda de le tenir informé des résultats
qu’elle obtiendrait au labo et sortit de la pièce afin que l’on puisse retirer
le corps.
De son côté, il décida d’aller parler aux personnes qui
avaient découvert le cadavre.
En se dirigeant vers les témoins, il aperçu son
reflet dans une vitre et pensa que la vie était étrangement faite. Il avait de
la peine pour cette pauvre fille, il la plaignait sincèrement et ne pouvait
même pas imaginer le calvaire qu’elle vivait. Il savait qu’il n’aurait pas eu
la même vie sans son physique agréable et que, très certainement, beaucoup de
portes seraient resté fermées. Il est vrai qu’il avait été particulièrement
gâté par la nature.
De très grande taille, mince et élancé, ses cheveux étaient
bruns et légèrement ondulés. Ses yeux vert émeraude et ses traits fins
donnaient une impression d’harmonie à l’ensemble, et on ne pouvait qu’être
charmé par son sourire, qui laissait apparaître une parfaite dentition.
Il
savait que le risque était de devenir méprisant envers les autres et de laisser
son ego prendre le pouvoir. Il savait aussi que, s’il n’avait pas vécu la
tragédie qui avait déterminé toute sa vie, il aurait pu, devenir odieux, comme la plupart des gens très beaux et conscient de l’être. Quelquefois
il avait failli perdre le contrôle de lui-même. Sans cesse, ce regard admiratif
qu’on lui portait, comme s’il n’était pas humain ou alors comme s’il était
supérieur.
Ces regards avaient failli lui faire perdre pied. Dans ces moments
là, il se remémorait la douleur atroce qui lui avait tordu le cœur, les boyaux,
la gorge, chaque petite parcelle de son corps, lorsque il avait vu sa mère se
faire étrangler devant ses yeux.
Cette douleur lui rappelait à quel point il
n’était qu’un homme. Un petit homme sans défense, incapable de bouger lorsqu'il s’était agit de sauver le seul être qu’il aimait.
Un petit homme, beau de
l’extérieur, mais tellement abîmé à l’intérieur.
Parfois il pensait :
« Si on me donnait un coup, un seul, je crois que je me briserais en mille
morceaux de l’intérieur. Comme un miroir fissuré à qui ont ferait une petite
pichenette, toute petite. »
Sur le chemin il croisa son collègue Julien, chargé de
recueillir des informations sur la victime, qui l’interpella afin de lui faire
son rapport.
Ils se dirigèrent vers une machine à café abandonnée dans un coin
de la salle de repos. Rien de tel que l’odeur du café chaud pour le revigorer.
Cette odeur donnait à Raphaël le courage du matin et il ne pouvait s’empêcher
de l’associer aux tartines grillées et beurrées qu’il adorait par-dessus tout
et qui lui rappelait les grasses matinées des dimanches d’hiver.
Bien sûr, le
café de la machine ressemblait plus à du jus de goudron qu’à un vrai café de
qualité, mais il avait le don de transformer une réunion de travail en
discussion conviviale et c’était finalement le plus important.
« Alors qu’avons-nous sur la victime ? »
Demanda t-il à Julien après avoir récupéré sa monnaie en pièces de dix
centimes.
« Il s’agit d’un homme de trente quatre ans nommé Malik
Benzara. On a retrouvé son sac avec ses effets personnels et ses papiers dans
un coin du placard où il y avait son corps.
Français tunisien ayant la double
nationalité. Une compagne et des jumelles de trois ans. Il a travaillé en tant
qu’ingénieur pendant deux ans dans la société chinoise qui possédait les locaux,
mais il a démissionné il y a environ six mois.
A priori rien de spécial à
signaler. Aucun antécédent à part deux trois P.V pour excès de vitesse. Les
quelques personnes que j’ai trouvé qui le connaissaient disent de lui que
c’était un homme très bien, calme, gentil, toujours souriant, très discret sur
sa vie privée. Cependant ils ne l’avaient pas vu depuis six mois et ne
comprennent pas ce qu’il faisait là. Je
vais continuer à interroger les employés, peut-être que je découvrirais un truc
intéressant. Je te tiendrai au courant. »
« Merci Julien, essaye d’en savoir plus sur sa vie
privée, Valérie penche pour l’hypothèse du crime passionnel donc, vois s’il
n’avait pas une maîtresse ou interroge sa femme pour savoir s’ils s’entendaient
bien. »
On avait installé les deux femmes avec les déménageurs
dans un bureau fermé, afin qu’ils patientent avant leur interrogatoire. Celle
qui avait découvert le corps, ne pouvait plus s’arrêter de pleurnicher, et ses
petits gloussements semblaient énerver tout le monde.
Sa respiration était
saccadée et elle hoquetait entre chaque mot, alors qu’aucune larme ne sortait
plus de ses yeux.
Elle était passée par tous les stades. Après avoir hurlé en
découvrant le cadavre elle était restée prostrée, les mains sur la bouche
pendant un long moment.
Une fois sortie de cette torpeur elle était tombée dans
l‘hystérie, pour terminer par une longue lamentation qui n’en finissait plus.
Les hommes semblaient moins sensibilisés par la situation, l’un regardait sa
montre compulsivement, pendant qu’un autre se rongeait ce qui lui restait
d’ongles. Le troisième demandait sans arrêt si, enfin, il pourrait aller fumer
une cigarette, en pestant qu’on ne pouvait séquestrer les gens impunément, et qu’il
se plaindrait aux autorités compétentes.
Elsa était assise les jambes croisées
et ne bougeait pas. La patience était une de ses principales qualités et rien
ne transparaissait de son visage, calme et serein.
Raphaël observa de loin ces personnes qui jouaient un
rôle majeur dans le déroulement de son enquête. Il avait appris, par
expérience, qu’il ne fallait pas chercher très loin du lieu du crime pour trouver les réponses aux questions décisives, qui ?
Pourquoi ? Et comment ?
Leurs
attitudes, leurs expressions, leurs positions corporelles, durant cette
attente, tout était important à ses yeux et pouvait déterminer la suite de son
enquête.
Dans un moment comme celui-ci, très peu de personnes sont réellement
capables de cacher leur culpabilité, même si elles en sont persuadées. Il les
scruta un à un, et essaya de pénétrer leur âme à travers leur corps.
Chacun
avait sa propre histoire, une vie entière qui se cachait derrière chaque
présence, leurs esprits étaient habités par leur quotidien.
Des souffrances,
des problèmes, des traumatismes mais aussi des bonheurs, des êtres auxquels se
rattacher, se cramponner et des êtres à aimer. Il essaya d’imaginer quelle vie
se cachait derrière chacun d’eux, ce qu’ils retrouveraient en quittant cet
endroit, à quoi ils occuperaient leur temps.
Il fixa son attention sur l’homme qui ne cessait de demander à fumer.
Ses mains étaient grandes, puissantes, mais sales, abîmées et jaunies par le
tabac. Il était grand et fort, mais ses yeux étaient cernés et rougis par la
fatigue. Son visage, jaunâtre, recouvert d’une barbe de trois jours et parsemé
de rides d’expressions profondément creusées, était rongé par l’inquiétude.
Raphaël remarqua qu’il tripotait un objet et en observant plus attentivement il
reconnut le tout dernier portable de la marque Peper. Il valait au bas mot neuf cents euros et peu de gens pouvaient se le payer. Il avait les nerfs en pelote
et une grande violence se dégageait de lui.
Son attention semblait portée sur
quelque chose qui se passait ailleurs. Il avait l'air absent de la
pièce mentalement, et la seule chose qui ramenait son attention parmi ses
camarades était son irrépressible envie d’en griller une.
Sa femme l’avait peut
être quitté la veille ? Elle trouvait qu’il se laissait trop aller, il ne
l’attirait plus et son odeur de tabac froid la dégoûtait. Ou alors il l’avait
trop délaissée et elle avait fini par trouver un amant. Des événements qui
paraissent banal, mais qui lorsqu'ils arrivent, sont un cataclysme émotionnel
et donnent l’impression d’être la pire chose qui puisse se passer !
Une intuition éclaira Raphaël, le genre
d’intuition qu’il avait souvent, qui s’imposait à son esprit sans qu’il ne
sache trop d’où elle venait.
Il comprit en un éclair qu’il avait affaire à un homme rongé par
l’alcoolisme. Il ne put s’empêcher de le plaindre, quelqu'un venait de mourir,
presque sous ses yeux et lui, restait obnubilé par son envie, qui prenait
toute la place et l’obsédait.
Raphaël eut pitié de lui et fit signe qu’on le laisse aller fumer dans une autre
pièce puis il porta son regard sur un autre témoin.
Elsa attira son attention tout
particulièrement : Ses longs cheveux auburn, chatoyants et parsemés de superbes
boucles ondulantes en une épaisse crinière, le fascinèrent tout de suite. Elle
croisait les jambes, des jambes fines et blanches comme du lait, et balançait
légèrement celle qui pendait nonchalamment. Son regard semblait très loin et
perdu dans ses pensées, sa tête était appuyée dans la paume de sa main ce qui
lui donnait un petit air mélancolique qui la rendait fragile.
Malgré tous les
efforts qu’elle semblait faire pour cacher son émoi, elle semblait triste et
perdue. Les images qui passaient devant se yeux la faisaient souffrir et des
souvenirs douloureux remontaient à la surface comme des larmes.
Raphaël se
retrouva devant une peinture de Caravage ou du Tintoret.
Il se dégageait d’elle
un mystère et un charme envoûtant qui le troubla.
Il aurait pu rester des
heures à admirer cette pureté et cette beauté incroyable. Comme envoûté il se senti
touché en plein cœur et eu l’impression de connaitre l’âme de cette femme,
d’être proche d’elle, comme si tous les deux faisaient partie d’un tout et
qu’une fois réunis, ce qu’ils avaient de brisé en eux allait se ressouder.
Jamais il n’avait connu ce sentiment auparavant, il s’était senti connecté à
elle instantanément, comme liés par un destin commun.
Il n’était pas du genre
fleur bleue et toutes ses théories à l’eau de rose l’avait toujours ennuyé,
mais là, c’était différent, c’était vrai, puissant, soudain et
incompréhensible.
Elle leva les yeux sur lui et un éclair en sortit. Elle s’était
sentie observée et maintenant elle le regardait avec un sourire au coin des
lèvres.
Son visage était devenu lisse et froid, son corps s’était raidi et mis
en position défensive, une incroyable force se dégageait soudain d’elle. La femme fragile, avait laissé place à une
guerrière aux aguets prête à bondir, et le contraste surpris tellement Raphaël,
qu’il eut besoin de s’asseoir une seconde.
Il reprenait ses esprits lorsque son collègue Julien
réapparut. Celui-ci lui demanda si tout allait bien, lui dit qu’il était tout
pâle et lui proposa un petit morceau de chocolat pour le revigorer. Décidément,
il était en train de dévaliser les distributeurs de cette société.
Raphaël se
remit sur pieds et le remercia, tout allait bien, il avait juste eu un petit
malaise. Il ne dormait pas très bien ces temps ci et il avait du mal à tenir le
rythme.
Julien avait apprit des choses intéressantes. Il avait retrouvé parmi
les employés, l’un des meilleurs amis de la victime, un certains Alfred.
Celui-ci lui avait affirmé que la victime avait eu une liaison, avec une autre
employée qui avait duré environ six mois. Il avait quitté sa femme et ses enfants
pour elle, et finalement il avait quitté sa maîtresse aussi.
Raphaël pensa en
lui-même que c’était un drôle de type. Il félicita Julien en lui demandant de
lui amener la maîtresse et la femme illico presto, tout en évitant qu’elles se
croisent. Il ne voulait pas assister à un pugila, il savait à quel point les
femmes pouvaient être redoutables entre
elles. Julien lui répondit que la maîtresse n’était pas loin étant donné qu’elle
faisait parti des témoins.
« Drôle de coïncidence n’est ce
pas ? Tiens c’est elle ! » Dit-il en pointant Elsa du
doigt.
« Elle ne pourra pas nier, il m’a donné une photo d’eux, ils
avaient fait un week end à quatre à Etretat. Chacun avec sa maîtresse ! Pas
mal non ? »
Raphaël ne put répondre, il aurait dû être satisfait tant
ces informations faisaient avancer l’enquête. Il semblait clair que cette femme
était mêlée à cette affaire. Pourtant, il était sombre et inquiet. Tout ceci
prenait une nouvelle tournure et il sentait que cette affaire aurait quelque
chose de décisif dans sa vie. C’était son histoire qui était en train de
s’écrire et son destin qui s’accomplissait. Il sentait qu’une force déterminante
décidait au dessus de lui, et eut pour la première fois de sa vie l’impression qu’il
ne pourrait plus rien éviter.
Le week end d’Elsa avait été rude. Pour chasser son
angoisse, elle avait nettoyé son appartement dans les moindres recoins et avait
passé tous les murs à l’eau de javel.
Le soir, l’odeur avait été tellement forte et
insupportable qu’elle n’avait plus pu respirer et qu'elle avait été obligée de prendre une chambre d’hôtel pour la nuit.
Son
image continuait à l’obséder. Elle le voyait devant ses yeux comme s’il était
vraiment là. Parfois elle se surprenait même à lui parler, à lui raconter ce
qu’elle faisait, comme avant, lorsqu'il lui téléphonait.
Il l’appelait
plusieurs fois par jour et ils se racontaient tout ce qu’ils avaient fait, vu ,
entendu et vécu. A l’époque, elle ne supportait pas d’être loin de lui. Elle
s’était habituée depuis à l’absence, et maintenant, s’était résignée. Elle ne
le verrait plus jamais.
Il avait débarqué un jour dans son bureau, grand, beau,
fort et l’avait regardée de ses yeux marron et profonds. Elle était habituée à
ce qu’on la regarde et avait fait comme ci de rien n’était, mais jamais, on ne
l’avait regardée comme ça auparavant, avec autant d’intensité, de tendresse, de
calme et de force. Habituellement, elle se sentait mangée des yeux et toujours
s’en dégageait quelque chose de malsain. Elle avait appris à se forger une
carapace, et avait développé pour ces regards, une répulsion si puissante,
qu’elle l’avait transformée en mépris et s’évertuait à punir les hommes qui la
regardaient ainsi.
D’une manière générale, elle détestait les hommes, elle les
méprisait. Des êtres faibles, qu’elle avait dû protéger comme une gentille
fifille, lesquels à la moindre occasion l’avaient humiliée et remerciée par
leur ingratitude.
Lorsqu’elle avait compris qu’ils étaient comme ça et qu’ils
ne pouvaient s’empêcher de rabaisser et de martyriser les femmes qui étaient
gentilles avec eux, qu’ils demandaient qu’on soit gentille et présente mais que, lorsqu'on l’était, ils nous méprisaient et nous trouvaient trop collante. Lorsqu'elle eut intégrée cela, elle changea d’attitude et cessa à jamais d’être
gentille. Elle était devenue éblouissante et forte, forte comme un homme.
Son
physique était avantageux et elle avait travaillé son attitude afin de devenir
la femme fatale et mystérieuse qui intrigue et attire.
C’était elle maintenant
qui jouait et méprisait. Ils étaient fous d’elle, l’adoraient, la vénéraient, la
couvraient de cadeaux, de fleurs et l’envahissaient de leur amour baveux et
répugnant.
Lui était différent. Enfin du moins, elle le pensait, au début. Elle
s’était laissé aller dans cette histoire d’amour, avait baissé la garde, et
était redevenue la femme tendre et soumise qu’au fond elle était. Il l’appelait
son trésor, sa chérie, son ange, il était présent, doux et fort.
Pour la
première fois, on prenait soin d’elle sans qu’elle ait besoin de faire quoi que
ce soit en échange ; juste comme ça, pour le bonheur d’être auprès d’elle.
Elle avait cru que c’était vrai, qu’il l’aimait vraiment et pour ce qu’elle
était.
Il lui avait donné l’impression de la voir à l’intérieur, la vraie elle,
celle qu’elle s’était évertuée à cacher sous des couches de froideur, de
mépris, de grâce et de superficialité.
Elle avait cru en lui et en un amour
profond.
Jusqu’à ce jour où son téléphone avait sonné un matin en pleine rue,
comme un gong sur sa vie. Lorsqu'elle y repensait, son sang se glaçait, ses
jambes se remettaient à trembler et ne la soutenaient plus.
A l’autre bout du
fil : une voix rauque et abîmée par la cigarette.
Une voix de femme si
grave et si masculine qu’elle en fut d’emblée intimidée.
« Excusez moi de
vous appeler comme ça, mais je viens de tomber sur un message de vous, sur le
téléphone de mon mari. Malik, c’est mon mari, vous êtes au courant ? Vous
savez qu’il est marié et qu’il a deux enfants ? »
Elle avait failli
s’évanouir en pleine rue et le téléphone était tombé par terre, se brisant en
mille morceaux. Après cela, elle n’avait pu se résoudre à le quitter, mais les
choses n’avaient plus jamais été les mêmes.
Pour finir, c’est lui qu’il l’avait
quittée en lui marmonnant qu’il ne l’aimait plus et qu’il avait besoin d’être
seul.
« Tu n’y es pour rien, ne t’inquiètes pas, ce n’est pas toi, c’est
moi, toi tu es parfaite. »
C’était à ce moment là qu’elle avait pris sa
décision. Elle n’avait pas supporté d’entendre ces phrases à nouveau. Ces
excuses que l’on dit pour rompre avec quelqu’un pour soi disant ne pas lui
faire de mal, alors que c’est simplement pour ne pas passer pour une ordure.
C’était bien elle
le problème. En réalité il ne l’aimait pas telle qu’elle était vraiment, mais
juste pour ce qu’elle représentait. Pour sa beauté, son intelligence, la vie
qui émanait d’elle.
Il ne l’avait jamais vraiment aimée. Elle n’était qu’un jeu
pour lui, une distraction passagère, une évasion à son petit couple ennuyeux et
routinier.
Il avait fini par se lasser et par ne plus voir que ses petits
défauts.
Lorsqu’elle avait réalisé tout ça, et qu’elle eut prit conscience qu’elle
s’était rabaissée et humiliée devant cet homme, la rage, la colère, la haine emplirent
son cœur et chaque petite parcelle de son corps.
La bête féroce qui vivait en
elle, cet alien, qu’elle avait réussi à calmer, se réveilla beaucoup plus fort
et puissant que jamais.
Un jour, en entendant son père essayer de séduire une
de ces amies, elle avait eu cette réflexion:
« Les hommes ne
pensent visiblement qu’avec leur sexe, autant en profiter et se servir de ça
pour les mettre à ma merci ».
C’est ce qu’elle avait fait, et c’est comme
ça qu’elle l’avait attiré dans ses filets. C’est comme ça, qu’elle avait réussi
à se venger.
Raphaël s’assit en face d’elle, dans ce bureau vide, qu’il
avait réservé aux interrogatoires.
Seule une petite table en bois blanc les
séparait. Une immense baie vitrée donnant sur la Seine et le parc de l’Ile
Saint Germain, laissait rentrer des lumières d’automne rouge et or.
Le soleil brillait dehors et illuminait la
pièce d’une douce chaleur.
Elsa semblait détendue et un large et franc sourire
éclairait son visage, pendant qu’elle fixait d’un air étrange son sac à main
posé sur la table.
Ses jolies mains posées sur ses genoux et ses jambes
croisées sous la table, elle l’avait attendu, l’air résigné et prête à
affronter son destin. Ils se regardèrent un instant, silencieux, comme intrigués
par la présence de l’autre, chacun dans l’attente d’un signe, d’un geste.
Elsa
le scrutait des ses grands yeux et il eut l’étrange impression qu’elle voulait
pénétrer son âme, analysant chaque petite cellule de son être. Il se sentit
gêné par ce regard et brisa la glace.
« Mlle, je ne vais pas y aller par quatre
chemins… »
« Elsa, appelez moi Elsa, je vous en prie. »
« Comme vous voudrez. » Il pensait que cela
n’avait pas grande importance et que ça l’aiderait peut être à se confier.
« Elsa donc… »
« Et vous c’est quoi votre nom ? » Lui
demanda-t-elle avec un petit air mutin, qui la faisait ressembler à une enfant
et qui acheva de faire fondre Raphaël.
« Raphaël. Mais s’il vous plait, arrêtez de
m’interrompre tout le temps. »
« Vous êtes vraiment très beau vous savez ? »
Visiblement elle le provoquait, il ne fallait pas qu’il
rentre dans son jeu. Elle sentait qu’il était troublé et elle essayait de le
déstabiliser. Elle était sur le point d’y arriver, car il se sentait incroyablement
attiré par elle. Une force quasi incontrôlable envahit tout son être, comme un
feu sacré qui s’allumait dans son ventre.
Tel un éclair, l’idée surgit dans son
esprit. Il pourrait tout quitter pour
elle, il l’emmènerait sans lui poser de question, pourquoi, comment, il s’en
fichait ! Tout ce qu’il voulait, c’était pouvoir se blottir contre elle,
s’enivrer de son odeur fleurie et dormir, dormir paisiblement comme un enfant.
Ça ne lui était pas arrivé depuis tellement longtemps, a bien y réfléchir
depuis la mort de sa mère.
Il était si fatigué. Fatigué de tout ça, de toute
cette mascarade, de cette vie.
Il se sentait protégé auprès d’elle, comme dans
un cocon. Il aurait voulu la protéger aussi, ne pas la blesser. Elle semblait
tellement forte, vue de l’extérieur, mais il sentait sa fragilité. Il voyait la
petite fille, blessée, trompée, humiliée. Elle devait être aussi perdue que lui
pour en arriver là.
« Il n’y a ni caméra, ni micro dans cette pièce et
je peux vous garantir que personne ne nous observe en ce moment. Ce n’est donc
pas un interrogatoire formel et nous pouvons considérer qu’il ne s’agit que
d’une conversation entre deux adultes. »
Il disait la vérité. Il n’avait prévenu personne de ce
qu’il allait faire. Que voulait-il faire exactement ? Il ne le savait pas
lui-même. Pour la première fois de sa carrière il se retrouvait confronté à ce
choix. On l’avait mis en garde sur le danger de s’impliquer émotionnellement
avec une personne liée à l'enquête, et jamais il n’avait pensé qu’une telle
chose le concernerait un jour. Il avait mis de côté les émotions et ne s’était
plus senti capable d’en avoir vraiment. Elle avait ouvert la boîte de Pandore.
Sans en être consciente, elle avait réveillé son cœur endormi et il se sentait
en danger. Les émotions brouillaient son esprit et il n’était plus l’homme de
sang froid qui avait gravi si rapidement les échelons de la police.
Il
commençait à réfléchir à une stratégie pour la sortir de là. Il pourrait
trouver un autre coupable, ou pour la première fois de sa carrière n’en trouver
aucun. Il échouerait et toute cette affaire resterait un mystère.
« Je sais ce que vous avez fait Elsa. Je sais que
vous avez tué cet homme. Comment je le sais ? Je n’en sais rien. Et je ne
sais pas, comment, ni pourquoi vous l’avez fait. La solution s’est imposée à
moi, et dès que je vous ai vue, j’ai su. »
Elsa caressa son sac à main d’un air étrange et
dit :
« C’est intéressant ce que vous me dites Raphaël, mais j’avoue
que je ne comprends pas de quoi vous me parlez. »
« Bien sûr que vous ne comprenez pas ! Moi,
j’aimerai comprendre comment vous avez pu en arriver là. Vous êtes belle,
intelligente, visiblement promise à un bel avenir. Pourquoi tout compromettre
pour cet homme ? Que vous a-t-il fait ? Que vous est il arrivé ?
Vous devez avoir besoin de vous confier? Je sais que vous n’êtes pas aussi
forte que ce que vous voulez montrer.»
« Vous savez ? Comment pouvez-vous prétendre
savoir quoi que ce soit de moi ? »
Son visage se transforma et la
rage déforma ses traits harmonieux.
« Personne ne s’est jamais intéressé à ce que
je suis réellement, pourquoi serait-ce votre cas ? Vous n’êtes qu’un
homme, et comme les autres hommes vous devez sûrement être égoïste et rempli de
vous-même. Pourquoi seriez-vous différent ? »
« Vous sentez en vous-même, que je suis différent. Que
je ne vous veux aucun mal, au contraire, je veux vous aider. »
« Je ne fais plus confiance à mon ressenti envers
les hommes. Je me suis trompée alors… »
« C’est ce qui s’est passé n’est ce pas ? Vous
avez cru en la victime. Vous lui avez fait confiance et il vous a trahi n’est
ce pas ? »
« Tristement banal, je dois dire.»
Ils restèrent un
instant silencieux, afin de laisser leurs âmes se remplir de la tristesse de
l’aveu qui suivrait.
« Je ne comprends toujours pas ce qui m’a pris. Je
me suis laissé déborder par la haine. J’étais si humiliée, si méprisée. Je l’ai
tellement aimée, je suis si fatiguée aujourd’hui j’ai envie d’en finir avec
tout ça. »
« Alors, racontez-moi. Ça vous fera du bien et après
tout sera fini. »
« Vous avez raison, tout sera fini. Notre
histoire fut très chaotique, il était encore plus ou moins avec sa femme je
crois. Je sais que ce n’est pas très moral, mais lorsque j’appris qu’il était
marié, j’étais déjà sa prisonnière car je l’aimais et ne pu me résoudre à le
quitter. Je souffrais beaucoup de cette situation car je suis quelqu’un de
passionné, jalouse et exclusive. Je pense qu’il a dû se lasser, ma beauté ne
suffisant plus à compenser ma forte personnalité. Il me quitta, de la façon la
plus grotesque qui soit et déclencha une folie meurtrière en moi qui ne se
calma que lorsque je le vis, un trou entre les deux yeux gisant dans son sang.
J’avais envie de lui faire mal, qu’il souffre autant que moi. Je ne supportais
pas l’idée qu’il ait repris sa petite vie, tranquillement, comme si rien ne
s’était passé, en m’excluant totalement de son quotidien. C’était facile de le
revoir et de lui donner rendez vous. Les hommes étant pervers et perdant tout
sens commun lorsqu’il s’agit de sexe, je lui fis croire que je voulais qu’il me
fasse l’amour une dernière fois. Il était tellement prétentieux à ce niveau là,
je le flattais en lui faisant croire que c’était merveilleux et que je ne
pouvais pas m’en passer, qu’il fallait que je vive cette incroyable extase une
dernière foi ! Laissez-moi rire franchement ! Quel imbécile. Je lui
donnais rendez vous le vendredi soir ici même. Je voulais vivre ça
dangereusement et réveiller nos souvenirs, quand au début de notre romance,
nous nous donnions des rendez vous clandestins dans les placards ou les escaliers.
Je le rassurais en lui disant de ne surtout pas s’inquiéter, je ne ressentais
plus rien pour lui et je voulais justement tirer un trait sur nos sentiments.
Je voulais finir en apothéose, et sur ce point là je ne lui mentais pas.
La suite vous le connaissez. J’avoue y avoir pris du
plaisir, je ne le regrette pas, c’est tout ce qu’il méritait. Il est temps que
ce genre d’individu soit puni comme il se doit. »
Raphaël à cet instant eut peur de l’être qui se trouvait
en face lui. Ce n’était pas la femme qu’il avait cru connaître. C’était un être
froid et maîtrisé. Une nouvelle personnalité avait prit place et il eut à ce
moment là la conviction que c’était son vrai visage. Il se trouvait en présence
d’une vraie psychopathe. Incapable de ressentir la moindre compassion pour qui
que ce soit. Elle ne connaissait pas le regret et ne respectait pas la vie
humaine. Ce n’était sûrement pas son premier meurtre. Elle s’en était tirée à
chaque fois car elle était devenue experte en manipulation et en dissimulation.
Il avait failli se faire avoir lui aussi. Elle était incroyable de noirceur, et il l’admirait presque, tant
elle avait si bien joué la comédie. Il voyait clair dans son jeu à présent et
il ne la laisserait pas s’en tirer comme ça.
« Je lis en vous Raphaël, et je comprends que vous
avez changé d’opinion à mon égard. Vous voyez qu’à présent vous ne voulez plus
mon bien ! Je savais que ça se passerait ainsi. C’est la raison pour
laquelle j’avais assuré mes arrières. »
Elle sortit de son sac à main le silencieux qui avait
déjà servi à tuer la victime. Ceci expliquait bien sûr, pourquoi elle accordait
autant d’importance à son sac, et pourquoi elle avait pris soin de le laisser
posé près de sa main sur la table. Il ne s’était pas méfié, bien sûr, depuis le
début il ne s’était pas méfié d’elle, ne soupçonnant pas une seconde à qui il
avait affaire.
« Vous vous êtes cru plus fort que moi n’est ce
pas ? Vous pensiez que vous étiez très malin ? Que vous alliez me
sauver ? Comme vous pouvez le constater, je n’ai pas besoin d’être sauvée,
et encore moins par un homme. Je vous méprise tellement, si vous saviez. Vous
êtes si prétentieux, vous vous croyez plus beaux, plus forts que tout. Vous
pensez que vous pouvez faire du mal et traiter les autres comme des moins que
rien sans aucune conséquence. Vous vous prenez pour des Dieux. Vous devez être
puni pour ça. »
Elle pointait son arme sur Raphaël, qui avait levé les
bras en signe de défense et de protestation.
« Je ne suis pas comme ça et vous le
savez ! »
« Vous êtes exactement comme tous les autres et
c’est d’ailleurs ce qu’ils disent tous avant de mourir. »
C’est à ce moment là que Valérie apparut dans
l’entrebâillement de la porte. Raphaël eut tout juste le temps de lui crier de
ne pas bouger, qu’une étincelle sortit de l’arme qui était pointée sur lui.
Valérie réagit instantanément, et se précipitant sur Raphaël, ils tombèrent à
terre en un seul mouvement, accompagnant le bruit sourd du coup de feu et le
cri de rage d’Elsa.
Un quart de seconde plus tard, elle détalait dans le
couloir qui menait à la porte de l’escalier.
Il lui fallait descendre huit
étages avant de voir la porte de la liberté.
Julien, alerté par les cris, la
prit en chasse sans réfléchir. Ne voyant que son ombre sur les murs jaunis de
la cage d’escalier, elle avait un bon étage d’avance sur lui.
Il pensait à la
foule qui attendait devant l’immeuble, à tous ces innocents qui risquaient leur
vie d’un instant à l’autre. Tout dépendait de lui et de sa capacité à attraper
cette femme.
Il regretta amèrement les gâteaux dont il s’était empiffré ces
derniers jours et décida par la même occasion d’arrêter de fumer. Il donnait
toute son énergie et poussait de plus en plus fort sur ses cuisses. Il la
voyait à présent et sa chevelure le frôlait presque, elle faiblissait et Julien
en était encouragé. Il la saisit par les cheveux et elle poussa un cri de
douleur qui fit froid dans le dos. Il l’empoigna par les bras et sans pitié les
lui tordit derrière le dos. Il la tenait, il avait gagné et se réjouissait de
la maîtriser de ses bras musclés.
Elle le regardait avec un mélange de haine et
de désespoir, continuant à se débattre, essayant de le mordre et lui crachant
au visage.
Les menottes aux poignets, elle s’avoua vaincue, se calma en essayant
de reprendre une digne prestance, avant d’affronter la foule des gens qu’elle
avait côtoyés ces derniers mois.
Raphaël, sonné par le choc frontal entre lui et Valérie,
s’était évanoui quelques secondes. Étourdi, il reprit doucement ses esprits et
l’horreur de la scène qui venait de se dérouler le saisit.
Valérie était
allongée sur lui et ne bougeait plus.
Il la repoussa légèrement et la posa
délicatement sur le dos. Il aperçut une tache de sang sur son ventre qui se
propageait rapidement. Il essaya de la réveiller, mais elle ne réagissait pas.
Ses yeux étaient clos et sa poitrine semblait inerte. Elle ne respirait plus.
Il se releva et une larme chaude coula lentement sur sa joue.
C’était la
seconde fois qu’une femme qui l’aimait donnait sa vie pour lui, le méritait
il ? En valait il la peine ?
Elles l’avaient cru, en accomplissant ce geste fou, ce sacrifice de
leurs vies.
Il sentait ce poids peser sur ces épaules, cette lourdeur infinie,
cette terrible responsabilité.
Comment fallait il qu’il vive avec cela ?
Quel était ce destin qui l’attendait et qui méritait autant de protection.
Il
ne s’en doutait pas encore mais il lui faudrait accomplir sa vengeance.