La petite mateuse n'a rien d'une matheuse, son smartphone faisant les calculs à sa place elle n'en voit pas l'utilité. Une trentaine d'année de vie fantastique, sublimée et imaginée comme un conte de fée...Elle observe le monde et les gens de ses grands yeux brillants et regarde de sa façon bien à elle, avec gourmandise et poésie.

mercredi 10 juillet 2013

PASSEZ PAR LA CASE PRISON ET RETOURNEZ AU DÉPART SANS TOUCHER 20 000 FRANCS


En sortant de chez elle ce jour là, Luna respira à plein poumons l'air tiède et fleuri du printemps.
Enfin, il était arrivé! Celui qu'on attendait en trépignant depuis des mois, celui qu'on désirait et adorait...
Le printemps, le seul, le vrai, la saison des amours, des fleurs, des roucoulades, des ballerines, des cinémas en plein air, des terrasses bondés, des sensations de liberté....
Il s'était sacrément fait attendre et on avait lancé l'alerte enlèvement, jusqu'à ce beau matin, où l'air de rien, il décida qu'on l avait mérité.
L'hiver avait été terrible et des pluies diluviennes et torrentielles avaient martyrisées la population.
Les parapluies étaient devenu de véritables extensions des poignets et l'on ne quittaient plus les k-ways, trench-coat et botte en caoutchouc.
Jane Birkin avait ressortie son tube "Dou la gadoue la gadoue la gadoue"remixé par David Guetta et avait fait un tabac sur les Dancefloor.
Les chinois avaient inventé des parapluies à pied et avaient définitivement changés l'aspect des trottoirs.
Les rues de France grouillaient de petits parapluies recouvrant bottines, escarpins, baskets et mocassins à glands.
Jamais on avait autant parlé de la pluie et du beau temps et des études très sérieuses soutenaient que d'en parler était bon pour le moral et faisait du bien.
Les français qui habituellement adoraient râler et se plaindre, se montraient extraordinairement optimistes et positifs, et prenaient leur mal en patience avec humour et détachement.


Luna avait définitivement tiré un trait sur le passé, tout en prenant soin quand même d'en faire "une lanterne pour éclairer son avenir" comme le disait si bien ce cher Confucius.
Elle avait découvert les philosophies orientales, tel que le bouddhisme, le taoïsme et le zen,  avait investi dans un coussin de méditation et s'était mise à manger bio.
Un esprit sain dans un corps sain était sa nouvelle devise et progressivement, elle calmait son esprit et réintégrait son corps.


Elle était employé dans une entreprise chinoise, une grande multinational qui brassait des millions chaque jour et qui dépendait des fluctuations de la bourse. Ils s'étaient implantés dans tous les pays du monde sans pour autant s'adapter aux coutumes locales et lorsqu'on entrait dans l'entreprise on faisait un bond de plusieurs milliers de kilomètres pour se retrouver parachuter en Chine.
La cantine ne servait que de la nourriture chinoise, et l'odeur se répandait dans tout le quartier déclenchant régulièrement les plaintes du voisinage. 
Les bureaux étaient décorés de calendriers chinois, comme ceux donnés dans les restaurants. Les petites Tour Eiffel en plastiques trônaient majestueusement, les feuilles de thé parsemaient les dossiers et les bonbons à la viande de porc séchée se savouraient délicatement.


Il était dix heures, quand Luna arriva au bureau ce matin là. Elle eu un haut le cœur lorsque l'odeur des bonbons qui ressemblait curieusement à celle de la pâtée pour chien pénétra ses narines.
Comme n'importe quel travailleur qui se respecte elle commençait sa journée par un bon café. Il lui fallait au moins ça pour supporter l'environnement et la charge de travail qui l'attendait.


L'ambiance ces derniers temps n'était pas au beau fixe, un audit de Chine avait débarqué et le stress était à son maximum. Des éclairs et de la fumée sortait des oreilles des employés et on se prenait la tête pour se la cogner contre les murs!


Ce n'était pas le job de ses rêves, non loin de là! 
Elle, elle se serait bien vu en une espèce d'Indiana Jones, parcourant le monde, escaladant les pyramides à la recherche de trésors mystérieux. Ou travaillant à L’UNESCO comme interprète des plus grands hommes du monde. Ou en danseuse étoile super canon, marchant en canard la tête haute et le menton levé, filant dans le vent place de l'opéra pour retrouver son tutu  et ses Repetto.
Elle se disait que peut être elle serait approché dans la rue par un homme étrange portant des lunettes noirs et un costume haute couture. Il la recruterais pour les services secrets français, non américains plutôt. Serait elle capable de tuer quelqu'un de sang froid? Même si c'était la plus grosse ordure de la planète? Elle en doutais mais savait qu'on ne peut présumer de ses forces et que le danger les décuple. Et puis, bien sûr, elle subirait un entraînement de choc et se révélerait peut être des talents insoupçonnés!


Elle n'en était pas encore là et devait se contenter pour le moment de gérer le quotidien monotone des employés expatriés. Elle avait constaté qu'en général les gens ne travaillait au mieux qu'une heure sur deux et passaient le reste du temps à discuter, se promener, grignoter et surfer sur le web. Elle en avait été étonné au début et avait fini pas prendre le même rythme.


A son arrivé elle allait donc chercher un café, s'arrêtait discuter avec ses collègues pendant environ quinze minutes. Ensuite elle allumait son ordinateur, ouvrait sa boite mail perso, facebook, les journaux sur le net et commençait sa lecture. En allant rapidement cela lui prenait déjà une bonne heure. On lui amenait son courrier qu'elle mettait de côté et elle retournait chercher un autre café pour se donner le courage de commencer enfin à travailler.
Au début la culpabilité d'être payé à ne rien faire la mettait mal à l'aise mais lorsqu'elle constata que malgré cela elle terminait le travail du mois en quinze jours, elle se laissa complètement aller à la feignantise.
Était ce comme cela partout et pour tout un chacun? Les gens qui disait être débordé, l'étaient ils réellement ou était ce " pour la forme", pour se faire plaindre, paraître important, ou tout simplement pour ne pas avouer leur inutilité?


Elle en était au stade du dépiautage des journaux lorsqu'elle entendit un brouhaha étrange.
Des chinois piétinaient à toute allure dans les couloirs, les bras chargés de papiers et faisaient la queue au destructeurs. Ils enfilaient les liasses, tremblants et affolés en en faisaient des serpentins illisibles et indéchiffrables.
Luna se dirigea vers l'accueil et découvrit une horde de policiers en civil avec leurs insignes bien en évidence. Ils devaient procéder à une perquisition. 
Les juristes de l'entreprise avaient le teint verdâtre et avaient totalement perdu l’aplomb qui les caractérisait habituellement. 
Les employés avaient pour ordre de ne plus toucher à rien et de ne pas communiquer entre eux, ce qui évidemment était transgressé allègrement.
La stupéfaction se lisait sur les visages des locaux et ils étaient partagé entre l'envie de rire tant la situation était surréaliste et la crainte d'être mêlé à quelque chose de pas net.  
Les uns se précipitaient pour effacer l'historique de leur ordinateur tandis que les autres faisaient la queue aux toilettes. Luna n'en crut pas ses yeux et comprit que tout le monde avait quelque chose à cacher ou a protéger. Le stress étant communicatif, elle commença à se sentir angoissée. Elle ne savait plus ou se mettre ni ce qu'elle avait le droit de faire ou pas. Elle décida de braver l'interdit et accosta un policier.
Il ressemblait au commissaire Moulin, une petite cinquantaine grisonnante, très sexy et ils sentait bon l'homme fort et protecteur. Luna et son imagination fleurissante fut immédiatement transportée...
..."Les cheveux dans le vent, sur une belle moto chromée couleur bleu nuit , une triomphe. Elle le serrait fort de peur de s'envoler et se sentait en sécurité au milieu de ce no man's land. Des champs à perte de vue, un coucher de soleil aux teintes cuivrées et rosées. Son cœur qui battait la chamade et l'air qui lui caressait la peau. Un incroyable sentiment de quiétude l’envahissait, comme si elle n'avait plus à se soucier de rien, que plus rien ne pourrait l'atteindre et qu'il veillerait sur elle pour l'éternité".   
 
-" Mademoiselle...mademoiselle...vous m'entendez?"
-"Hein? heu oui pardon. J'étais ailleurs pendant une seconde."
-"Tout va bien? Vous vous sentez bien?"
-"Oui oui ça va c'est juste la fatigue. Je voulais savoir ce qui se passait exactement."
-" On ne peut rien vous dire pour le moment. On procède à la perquisition et ensuite on vous tiendra informé des avancés de l'enquête."


Il était beaucoup moins sexy quand il parlait et Luna en fût extrêmement désappointé. Il donnait l'impression de réciter son texte et d'être un bloc de marbre sans émotion ni compassion. Il n'avait plus rien à voir avec la force chaleureuse et enivrante qu'elle avait fantasmé.


Elle tourna les talons et tomba nez à nez avec la commère de la boîte, celui qui trouvait son bonheur à colporter des ragots odieux sur ses collègues, tout en leur faisant de grands sourire charmant en face. Cet homme était hideux et Luna le détestait. Il l’accosta avec ce ton mielleux et pathétique qu'il avait lorsqu'il s’apprêtait à commettre un méfait et c'est à cet instant que l'idée germa dans son esprit.


- "Alors qu'est ce qu'il t'a dit? Il se passe quoi? "
- "Je veux bien te le dire mais tu me promets de le garder pour toi hein?" Elle riait tant à l’intérieur qu'elle avait du mal à cacher son sourire !
- "Bien sûr tu me connais je suis une tombe."
- "Bien sûr. Mais assieds toi alors, parce que tu ne vas pas en croire tes oreilles."


Elle lui expliqua que la police avait découvert dans les sous sols de l'entreprise un fumoir à opium clandestin avec un laboratoire de fabrication . Pour vendre et fabriquer l'opiacée ils embauchaient des clandestins et l'entreprise n'était qu'une couverture pour le blanchiment de l'argent découlant de la drogue. En réalité leur boss était le chef de la mafia chinoise à Paris et eux les jouets d'une vaste escroquerie. C'était incroyable car tout cela se déroulait sous leur pieds sans qu'ils en aient conscience!


Elle lui raconta cela avec l'air le plus sérieux du monde sans jamais flancher malgré l'envie de s’esclaffer qui lui montait au nez. 
Elle le laissa planté là, comme un imbécile, la mâchoire tombante et l'air niais. Elle partie tranquillement sans se pressé et arriva au bureau de son collègue Hervé. 
Se vautrant sur la chaise en face de lui, elle lâcha prise et pouffa de rire jusqu'à en pleurer. Hervé était médusé et ne comprenait pas l'étrange attitude de sa collègue. Il la connaissait un peu et savait qu'elle était bizarre, ils s'entendaient bien d'ailleurs car il appréciait les gens à l'esprit décalé. Son rire était communicatif et sans savoir pourquoi il commença à rire avec elle. La nervosité ambiante aidant, les voisins de bureau commencèrent à rire en chœur avec eux et tout en se demandant pourquoi, les larmes de joie coulaient sur les joues, les zygomatiques se crispaient et les abdominaux souffraient de bonheur.


Des bruits étranges commençaient à se faire entendre. On parlait d'opium, de laboratoire clandestin, mais aussi de trafic d'organe et de réseau de prostitution. Le téléphone arabe avait opéré et le cancan avait transformé la fausse réalité créée par Luna. Elle avait fini par mettre Hervé dans la confidence après avoir réussi à se calmer et il l'avait traité de cinglée tout en la remerciant de lui avoir offert la plus belle crise de rire de toute sa vie. Elle était très fier de sa petite supercherie lorsque tout d'un coup le commissaire Moulin s'approcha d'elle. 
Il avait l'air d'un bouledogue en colère et il lui aboya au visage, la bave coulant de ses babines remplient de hargne:
" Qu'est ce qui vous à prit, vous êtes complètement folle? "
Luna bégaya de stupéfaction mais aucun son ne sortit de sa bouche.
"Mademoiselle, vous êtes en état d'arrestation. Veuillez nous suivre sans protester s'il vous plaît."
Hervé s'interposa:
"Vous êtes pas censé lui dire ses droits là?"
"On est pas dans les experts ici. Écartez vous s'il vous plaît ou je vous embarque aussi."


Il était vraiment pas sympa en fait le commissaire moulin! Menottée, dépitée et humiliée elle se laissa traînée au poste sans protester. Elle n'était pas au bout de ses surprises.


Une fois arrivée là bas elle poireauta des heures dans une horrible cellule froide à l’odeur fétide.  
Elle n’avait pas vraiment prévu cette petite escapade en prison et aurait vendu père et mère pour un jean et des baskets. Au lieu de ça, elle s’était pouponné avec l’arrivée des beaux jours et avait sorti l’attirail de la working girl branchée, fleurie et légère, escarpins nus pieds talons aiguilles, et petite robe à bretelles presque transparente. Il ne fallait pas regretter, ça ne servait à rien, d’autant qu’elle gardait encore le secret espoir que ça pourrait lui servir avec le commissaire moulin.

Les minutes s’écoulaient et personne ne venait. Le lavabo couleur verdâtre moisie lui infligeait le supplice chinois, qui consiste à énerver quelqu’un à l’aide d’une goutte d’eau. 
Au début elle n’avait pas osé toucher le robinet de peur de choper une infection.
Plus le temps passait, plus elle entendait la goutte, plus elle préférait l’infection à la psychopathie.
Rien n’y faisait, le ploc ploc de la goutte commençait à faire vibrer les barreaux et à bourdonner dans sa tête.
Elle forçait tellement le robinet que ses mains lui faisaient mal et commençaient à prendre une couleur inquiétante. Le bruit l'obsédait et occupait toute son attention, à tel point qu’elle en avait presque oublié qu’elle était en prison.
Elle arracha un bout de sa jupe pour protéger ses mains, elle serra, serra à en devenir rouge. Elle grimpa sur le lavabo et poussa sur ses pieds, puis arrêtant l’effort elle tendit l’oreille avec appréhension. Lorsque le ploc tant redouté résonnât plus puissant que jamais, elle redoublât de rage et se transformât en une bête féroce, baveuse et sanguinaire.
Elle mit tant de coeur à l’ouvrage que le robinet céda et fit jaillir un marasme marron, épais, crasseux et nauséabond. 
Au bord du gouffre elle lâcha prise, s’assit par terre au milieu de la boue et pleura toute les larmes de son corps. 
A cet instant précis elle ressemblait à une folle, la robe déchiquetée et marron caca, le maquillage étalé sur son visage à force d’avoir pleuré et les mains en sang.

Le commissaire moulin arriva et fut pétrifié par le grotesque de la scène.
Reprenant ses esprits, il ouvrit la cage précipitamment et vint libérer la “ bécasse”. Ils prirent soin d’elle et une dame l’aida à prendre une douche. Elle était toujours choquée, semblait ailleurs comme hypnotisé et se laissait manipuler comme une poupée de chiffon. On lui prêta un uniforme, lui servit un thé bien chaud et l’installa dans un bureau afin de procéder enfin à l'interrogatoire.
Après s’être assuré qu’elle était à nouveau saine d’esprit en lui faisant décliner son identité, le commissaire Moulin rentra dans le vif du sujet:


“Mademoiselle, vous avez affirmé à votre collègue le dénommé Luc Letrouduc, que votre société était impliqué dans un trafic de drogue et d’être humain et que vous aviez connaissance des connections qui la rattachait à la pègre. Est ce exact? “


“Oui c’est vrai, mais c’était une blague stupide, je voulais juste m’amuser un peu c’est tout! J’ai fais de mal à personne que je sache et je pense que je n’ai pas mérité le traitement infâme que vous m’avez fait subir aujourd’hui.”


“Traitement que vous vous êtes infligé à vous même, je tiens à le signaler.”


“Et le supplice de la goutte alors? Vous croyez que je suis devenue tarée sans raison?”


“Revenons en à nos moutons si vous le voulez bien. Comment avez vous eu connaissance de ces informations?”


“Comment ça connaissance de ces informations? C’est une blague que j’ai inventé pour piéger mon collègue et voir combien de temps il mettrait pour propager la rumeur. J’ai pas été déçu ça c’est sûr!”


“Le problème mademoiselle est que vous avez affirmé à ce collègue que c’est moi même qui vous ai révélé les faits, alors que nous savons vous et moi que c’est faux et archi- faux.”


“ Oui je sais c’était pas très malin de vous mettre là dedans et j’en suis désolé mais franchement on va pas en faire un fromage! Tout ça pour une mauvaise blague? J’suis quand même pas une criminelle!”
Elle tenta le charme en lui faisant la moue et le regard du chat plaintif et fragile. Celui -ci resta totalement froid et impassible et rajouta:


“Ceci n’est pas une blague mademoiselle, c’est la réalité, la dure, la vraie et je peux vous dire que vous êtes dans une sale posture. Très sale même!”


“Quoi, vous allez m’arrêter, mon mettre en prison jusqu'à la fin de ma vie pour une blague, pourrie certes, mais une blague quand même.”


“Je vous le répète ce n’est pas une blague et si malheureusement nous découvrons que d’une façon ou d’une autre vous êtes mêlé au trafic, je ne donne pas très cher de votre peau.”


C’est à cet instant qu’elle comprit l’horreur de la situation. Sa blague était en fait...la réalité.
Il fallait absolument qu’elle songe à ouvrir une roulotte et à pratiquer la boule de cristal sérieusement, elle avait un don! Enfin seulement une fois qu’elle serait sorti de prison, dans une petite vingtaine d’année. 
Elle adopta une drôle de grimace, la bouche fermée, les yeux rond grands ouverts et les joues gonflées de stupéfaction, ressemblant sûrement au Mérou, ce poisson joufflu avec l’air crétin. 
C’est alors que se produisit une chose incroyable, le commissaire Moulin, cet homme d’aspect si froid, distant et impénétrable, ce roc, cette montagne imperturbable, se mit, d’abord à sourire, puis ne pouvant plus se retenir, à rire puis excusez moi l’expression, explosa à “ se pisser dessus”.


Ses collègues arrivèrent devant le bureau, inquiets, ils ne l’avaient jamais vu rire ni même sourire, c’était incroyable. Qu’avait elle fait pour provoquer ça?
Il y avait donc bien de l’humanité en lui, et cette femme avait réussi à la faire sortir, alors que plus personne n’y croyait.
Il semblait ne plus pouvoir s’arrêter et à chaque fois que ses yeux se posaient sur Luna, il repartait de plus belle. Rien ne le calmait et l’attroupement autour du bureau s’intensifiait. 
Luna était toute piteuse, et elle ne savait plus ou se mettre. Jamais elle n’avait eu aussi honte de toute sa vie. Elle se recroquevillait dans sa chemise trop grande, rougissait, aurait voulu se cacher dans un trou ou retourner dans sa cellule, subir le supplice de la goutte. 
A chaque fois qu'il se calmait et essayait de jeter un œil sur Luna il repartait de plus belle. Le pauvre homme en pleurait! 

Parmi les visages qui s'étaient attroupés autour du bureau, Luna distingua celui de son collègue Hervé qui, inquiet était venu prendre de ses nouvelles.

C'est alors que le commissaire réussit enfin à faire une phrase et celle qu'il prononça ce jour là resta graver dans les mémoire :

-" Ma petite demoiselle, sans vouloir vous offenser je suis convaincu que vous êtes incapable de la moindre malfaisance et franchement je vous dois une fier chandelle, j'avais pas rit comme ça depuis des siècles. Allez vous êtes libre. "

La réalité était cruelle. Elle était trop ridicule et trop niaise pour faire parti du grand banditisme. Il fallait l'accepter et faire son deuil. Pour le moment cela l'arrangeait, elle tomba dans les bras d'Hervé et parti affûtée d'un uniforme d'agent trois fois trop grand pour elle.

Hervé lui annonça que la boite fermait et qu'ils étaient tous au chômage. Demain elle chercherait un nouveau travail. Pourquoi pas dans la police?






vendredi 7 juin 2013


Les amis, aujourd'hui je vous propose de quitter quelques instants notre cher Luna afin de vous faire découvrir un autre univers.Voici une petite nouvelle que j'avais écrite il y à quelques temps et qui j'espère vous plaira. N'hésitez pas à partager et à me laisser des commentaires pour me dire ce que vous en pensez. Je vous embrasse...      

LES GRIFFES DE L ANGE



Tout le monde s’agitait de tous les côtés et les couloirs, semblables à de petites autoroutes, étaient séparés en deux allées bien distinctes afin de créer une circulation a double sens. 
Un « bordel » organisé avait pris place en ce lundi matin, dans cette entreprise du quartier d’affaire de Boulogne Billancourt. 
Composée en majorité de chinois expatriés, leurs petits pas grouillaient sur le sol en cadence et telle une ruche en préparation du fameux nectar, rien ne semblait pouvoir les faire dévier de leur trajectoire. 
Aujourd’hui ils déménageaient. Ils n’allaient pas très loin, juste de l’autre côté de la rue mais, déplacer une ruche au complet demande de la rigueur et de l organisation. 
Chacun avait pour mission de préparer son petit carton et c’était l’occasion de faire un brin d’ordre et de ménage, ce qu’il faut avouer, n’était pas vraiment leur fort. 
Des feuilles de thé vieilles de plusieurs années accompagnaient leurs fameux bonbons à la viande, dont se dégageait une odeur de pâtée pour chien. 
Les poubelles se remplissaient d’objets improbables, fausses fleurs, tasses en porcelaines, petites tour Eiffel en plastique, pelotes de laine, gobelets fossilisés, sable et coquillages de Deauville, calendriers de l’an 2000 et autres curiosités. 
. Les bureaux se vidaient petit à petit et chacun faisait ses adieux à l’endroit qui l’avait si bien accueilli pendant ces temps de dur labeur. Les petits pas se faisaient de plus en plus rares et des détritus commençaient à envahir le sol. 
Quelques meubles vides traînaient par ci par là et une atmosphère inquiétante s’installait. 
Le silence se propageait doucement et l’endroit prenait des airs fantomatiques.

Elsa était une jeune femme volontaire. Une battante qui, lorsqu'elle marchait dans la rue regardait droit devant elle, la tête haute et le buste bien droit. Son regard profond, surmonté de longs cils recourbés, était franc et perçant. 
 Arrivée par hasard au poste le plus bas, en quelques mois elle s’était fait un nom. Elle avait rapidement monté les échelons grâce à sa détermination et avait su se rendre indispensable et user de son charme pour arriver à ses fins. 
Dotée de cette élégance naturelle qui ne s’apprend pas, elle laissait une empreinte sur les gens en quelques instants et ne passait jamais inaperçu. On sentait sa présence dans une pièce, son charisme était puissant et elle semblait promise à faire de grandes choses. 
Elle avait su apprivoiser ce peuple si mystérieux en s’adaptant à leur mode de vie et à leur façon de travailler. Tout en gardant ses distances elle était prévenante, souriante, toujours prête à leur rendre service. Elle ne refusait jamais de goûter à leurs spécialités culinaires dont ils étaient si fiers, même si parfois le dégoût la prenait si fort qu’elle ne pouvait réprimer des envies de vomir. Ils n’avaient pas non plus la même notion de l’hygiène qu’elle, et parfois, elle ne pouvait supporter leur insoutenable odeur. Jamais elle ne leur montrait le dégoût que parfois ils lui inspiraient et toujours, elle gardait la tête haute, le sourire large et les narines dilatées. 

Ce jour là, en découvrant le spectacle des petits chinois s’agitant de façon si ordonnée, elle ne put réprimer un sourire et tout en gardant sa volupté et sa lenteur, elle s’assit tranquillement à son bureau. 
Elle n’était pas vraiment pressée de ranger ses affaires, celles-ci se limitant à deux trois dossiers et quelques stylos.  Rien de personnel n’avait envahi l'espace qui lui servait de bureau car elle mettait un point d’honneur à dresser un mur infranchissable entre ces deux mondes. 
Elle était mystérieuse pour ses collègues qui ne cessaient d’échafauder des théories les plus saugrenues les unes les autres. 
Certains se plaisaient à fantasmer sur elle en secret l’imaginant vêtue de cuir ou dormant dans des draps de satin. On la supposait mariée à un prince italien ou a un coureur automobile. Qu’avait elle fait avant d’être là ? Actrice de films porno ou jet-setteuse déchue ? 
Elle ne dévoilait rien d’elle-même et entretenait les rumeurs en lançant de faux indices afin de brouiller les pistes. 
Visiblement cela l’amusait et elle prenait un malin plaisir à jouer ce jeu là. 
Elle ne perdait jamais son sang froid et son visage était comme du marbre. Seuls ses yeux,  parfois, exprimaient l’émotion qui la traversait. Elle jetait des éclairs avec son regard et aurait facilement pu tuer d’un coup d’œil. Elle avait compris très tôt qu’elle n’avait pas besoin de parler beaucoup pour se faire entendre, ce qui l’arrangeait car elle n’était pas de nature très volubile. 
Sa façon de bouger était remarquable, ses gestes étaient lents et mesurés, elle mettait sa conscience dans chacun de ses mouvements et ils semblaient d’une légèreté et d’une précision hors du commun. Chacune de ses attitudes semblait accompagnée d’une intention spéciale et importante. Ses mains étaient longues et ses doigts fins, couronnés par de beaux ongles manucurés et pointus. 
Il émanait d’elle quelque chose de spécial qui la rendait différente, qui impressionnait et déstabilisait les hommes. Elle les intimidait et il leur semblait qu’elle lisait à travers eux de son regard perçant.
Il ne restait pratiquement plus qu’elle et les déménageurs rôdaient autour de son bureau en lui lançant de petits regards en coin, qui signifiaient «  tu vas te dépêcher qu’on en finisse ! » 
Elle les gratifia d’un regard enjôleur  qui les calma, puis elle leur demanda s’ils pouvaient être assez aimables pour lui porter son petit carton dans son nouveau bureau. 
Son sourire les mit à terre, ils se précipitèrent pour l’aider et comme hypnotisés, ils restèrent près d’elle, « au cas où elle aurait besoin de quelque chose ». 
Elle, satisfaite, pensait que les hommes étaient bien stupides et qu’ils vendraient leur âme pour un jolie minois ou un beau postérieur. Elle les méprisait pour cela et en usait et abusait sans aucun complexe.
Au moment où ils allaient franchir pour la dernière fois le seuil de la porte, un cri perçant retenti au bout du couloir. 
Le déménageur qui était en train de draguer assez lourdement Elsa, se retrouva la bouche béante et ils se regardèrent, figés, pendant une fraction de seconde. 
Elle fut la première à reprendre ses esprits et dit:

 «  Je crois que ça vient de là ! » 

Ils se précipitèrent vers l’endroit d’où provenait le cri et découvrirent une femme prostrée dans un coin, les mains posées sur sa bouche en signe d’effroi. 
Ses yeux exorbités regardaient en direction du placard à fournitures. Il était profond et sombre et de prime abord, rien ne semblait anormal. Elsa appuya sur la minuterie et la lumière leur révéla un spectacle effrayant. 
Un homme nu gisait sur le sol. Il avait un trou entre les deux yeux. Ceux-ci étaient resté ouverts et l’effroi y était visible. Un filet de sang séché coulait sur l’arête de son nez. Son corps était entièrement recouvert de profondes griffures et ses poignets étaient attachés par une corde. 
Il avait commencé à prendre un teint violacé et le marron de ses yeux s’était délavé en un vert kaki cerclé de rouge. 
Après quelques secondes d’un silence interminable, troublé par le seul cliquetis de la minuterie, l’un des déménageurs sortit son portable en tremblant et appela la police. 
Celle-ci, ne mit pas longtemps à arriver sur les lieux et découvrit qu’un attroupement s’était déjà formé en bas de l’immeuble. La nouvelle avait circulé à vitesse grand V et les bavardages incessants créaient un brouhaha assourdissant. 

On savait que quelque chose de terrible était arrivé et les théories les plus abracadabrantesques étaient imaginées : On avait découvert un butin de la mafia chinoise, des kilos d’héroïne, des armes, des billets en dollars ! Il y avait une arme bactériologique qui n’allait pas tarder à exploser et contaminer tout le monde, si le commando missionné n’arrivait pas à la désamorcer ! Un Homme aux abois avait pris en otage le PDG de la société car il l’avait renvoyé, le conduisant à sa chute. Il avait perdu son toit, sa famille, dormait dans la rue et ne pouvait plus approcher ses enfants. Il avait sombré dans l’alcool étant obligé de se prostituer pour pouvoir continuer à payer le litre de whisky dont il avait besoin chaque jour !...
La police avait demandé que l’on ne touche à rien et que les personnes présentes sur les lieux ne s’éloignent pas. Une ambulance était arrivée quelques minutes après et attendait que la police fasse son travail pour pouvoir emmener le corps mutilé. 
Il fallait relever les empreintes, les éventuels morceaux de tissus ou n’importe quel indice qu’aurait pu laisser par imprudence l’assassin. 
Prendre des photos, mettre des poils dans des tubes à essais, pulvériser des produits chimiques et attendre les réactions. Marcher sur des œufs et ne rien déplacer, tel était le quotidien de Valérie, agent de la police scientifique.
 Son intelligence était aussi impressionnante que sa laideur. Elle avait développé une grande discrétion et c’est à peine si on pouvait entendre le son de sa voix. Ses pas étaient comme du velours et on l’avait même surnommé, la femme invisible. 
Si tel n’avait pas été le cas, on aurait pu observer derrières ses énormes lunettes papillons, de petits yeux bleus légèrement délavés par tous les livres qu’elle avait ingurgité. Elle n’avait pas beaucoup de cheveux, ce qui l’obligeait à les porter très court. Leur couleur entre le châtain clair et le roux lui donnait un teint livide et un petit air d’oiseau déplumé. Son extrême maigreur, faisait ressortir ostensiblement les os de son crâne, ce qui lui donnait un air presque effrayant. Les gens se moquaient d’elle ouvertement et ne prenaient même plus la peine d’attendre qu’elle ait quitté la pièce. Elle s’était résignée et n'y faisait plus attention. Quand elle se regardait dans un miroir, elle les comprenait. 
Que ferait elle à leur place en voyant une personne si laide, si piteuse et avec si peu d’attrait ? Elle s’en moquerait sûrement aussi. 
Elle s’était habituée à être seule, sans amour et sans joie. Vivant une vie sans intérêt, elle pensait souvent à y mettre fin, car personne ne souffrirait de son absence. 
Pourquoi ne le faisait elle pas ? La peur peut être ? Ce n’était pas encore le moment, quelque chose la retenait encore. 
Elle examina le placard dans ses moindres recoins, et pris bien soin de relever chaque détail important. Il avait été vidé totalement la semaine précédente en vue du déménagement, et seules restaient les étagères qui avaient servi à empiler les cahiers, classeurs, trieuses, stylos et autres éléments indispensables à une vie de bureaucrate. Des trombones abandonnés et autres saletés gisaient sur la moquette couleur abricot moisi. L’usage de l’aspirateur n’était visiblement pas connu des services de ménage engagés par cette société. Décidément la tache serait rude. Il y avait beaucoup d’empreintes différentes et des résidus corporels qu’il faudrait analyser une fois arrivée au labo. Elle découvrit un poil de chat et fut prise d’une crise aiguë d éternuement.
Accroupie par terre à côté du cadavre, elle leva la tête et eut un tressaillement imperceptible. 

Raphaël était là, devant elle et la regardait de ses grands yeux verts émeraude. 
Dans l’entrebâillement de la porte, son apparition était comme providentielle et il sembla à Valérie qu’elle venait de mourir et de voir un ange.
Elle l’avait aimé tout de suite, sa beauté l’avait subjuguée et lorsqu'elle le voyait, son cœur se décrochait de sa poitrine et faisait des bonds, qui l’amenaient parfois au bord du vomissement. 
A vrai dire, elle ne savait pas très bien si elle l’aimait, le désirait, l’admirait ou les trois à la fois. C’était sûrement ça, c’était les trois. Jamais un homme ne l’avait regardé comme lui. 
Elle ne se faisait pas d’illusion, bien sûr, mais au moins, elle avait l’impression qu’elle ne le dégoûtait pas. Il avait toujours était gentil avec elle. Jamais il ne s’était moqué d’elle et il semblait la plaindre et la comprendre. Son regard était doux, gentil et rempli de compassion.

Raphaël était donc chargé de cette affaire et, timidement, elle lui donna ses premières remarques. Le tueur avait attaché la victime et, froidement avait tiré une balle entre les deux yeux qui avait été fatale. Mort sur le coup la victime avait été mutilée post mortem par un objet tranchant et pointu, peut être une lame de couteau. Il faudrait de toute façon avoir les résultats du labo pour plus de précisions. Raphaël l’écouta attentivement et lorsqu'elle eut terminé son rapport, ne lui posa qu’une seule question:

 « Quelle est ton intuition? Dis-moi ce que tu en penses, ça m’intéresse. » 

 Il termina par un sourire magnifique, franc et bienveillant. Jamais on ne lui demandait son avis et elle en fut tellement bouleversée et surprise qu’elle bafouillât et sa voix s’étrangla dans sa gorge. Il lui tendit une petite bouteille d’eau et posa sa main sur son dos comme pour l’aider à mieux respirer. Après avoir repris doucement ses esprits et sentant encore la chaleur de sa main marquée pour toujours au fer rouge dans son dos, elle lui dit qu’elle pensait que cela avait été commis par une femme et que la piste du crime passionnel lui semblait envisageable.

« Qu’est ce qui te fait supposer ça ? »

« La première chose, est la minuscule trace de rouge à lèvre sur sa bouche, en partie effacée, mais pas suffisamment. Négligence de l’assassin sûrement. 
 La deuxième, ce sont ces traces qu’il a sur le corps. On dirait des griffures mais dans ce cas, cela suppose des ongles très longs et très pointus. Les analyses nous en diront plus à ce sujet. La troisième n‘est pas très scientifique mais… » 
« Intuition féminine peut être ? » Lui lança t il accompagné d’un clin d’œil complice.
Elle rougit, sa température monta à quarante, et d’un sourire timide elle répondit :
« On peut dire ça comme ça ! » Pensant que, finalement à part l’intuition elle n’avait pas grand-chose de féminin.
 « C’est son regard resté ouvert et figé à l’arrêt du cœur ; il semble soumis. J’ai déjà observé cela chez des hommes qui regardent certaines femmes.»
«  Ah et quel genre de femme ? »
« Le genre, très belle et très sûre d’elle. Qui regarde les hommes avec mépris, mais se font adorer d’eux. »

 Un silence s’ensuivit. Raphaël sembla troublé et se plongea dans sa réflexion. Il observa le corps de l’homme un long moment. Lorsqu’il était comme ça, il ne fallait pas le déranger et interrompre le cours de sa pensée. Sa brillante intelligence en aurait été contrariée, elle le savait et prit le parti de se taire. Il sorti enfin de sa méditation et la remercia, lui demanda de le tenir informé des résultats qu’elle obtiendrait au labo et sortit de la pièce afin que l’on puisse retirer le corps.
De son côté, il décida d’aller parler aux personnes qui avaient découvert le cadavre. 

En se dirigeant vers les témoins, il aperçu son reflet dans une vitre et pensa que la vie était étrangement faite. Il avait de la peine pour cette pauvre fille, il la plaignait sincèrement et ne pouvait même pas imaginer le calvaire qu’elle vivait. Il savait qu’il n’aurait pas eu la même vie sans son physique agréable et que, très certainement, beaucoup de portes seraient resté fermées. Il est vrai qu’il avait été particulièrement gâté par la nature. 
De très grande taille, mince et élancé, ses cheveux étaient bruns et légèrement ondulés. Ses yeux vert émeraude et ses traits fins donnaient une impression d’harmonie à l’ensemble, et on ne pouvait qu’être charmé par son sourire, qui laissait apparaître une parfaite dentition. 
Il savait que le risque était de devenir méprisant envers les autres et de laisser son ego prendre le pouvoir. Il savait aussi que, s’il n’avait pas vécu la tragédie qui avait déterminé toute sa vie, il aurait pu,  devenir odieux, comme la plupart des gens très beaux et conscient de l’être. Quelquefois il avait failli perdre le contrôle de lui-même. Sans cesse, ce regard admiratif qu’on lui portait, comme s’il n’était pas humain ou alors comme s’il était supérieur. 
Ces regards avaient failli lui faire perdre pied. Dans ces moments là, il se remémorait la douleur atroce qui lui avait tordu le cœur, les boyaux, la gorge, chaque petite parcelle de son corps, lorsque il avait vu sa mère se faire étrangler devant ses yeux. 
Cette douleur lui rappelait à quel point il n’était qu’un homme. Un petit homme sans défense, incapable de bouger lorsqu'il s’était agit de sauver le seul être qu’il aimait. 
Un petit homme, beau de l’extérieur, mais tellement abîmé à l’intérieur. 
Parfois il pensait : « Si on me donnait un coup, un seul, je crois que je me briserais en mille morceaux de l’intérieur. Comme un miroir fissuré à qui ont ferait une petite pichenette, toute petite. »

Sur le chemin il croisa son collègue Julien, chargé de recueillir des informations sur la victime, qui l’interpella afin de lui faire son rapport. 
Ils se dirigèrent vers une machine à café abandonnée dans un coin de la salle de repos. Rien de tel que l’odeur du café chaud pour le revigorer. 
Cette odeur donnait à Raphaël le courage du matin et il ne pouvait s’empêcher de l’associer aux tartines grillées et beurrées qu’il adorait par-dessus tout et qui lui rappelait les grasses matinées des dimanches d’hiver. 
Bien sûr, le café de la machine ressemblait plus à du jus de goudron qu’à un vrai café de qualité, mais il avait le don de transformer une réunion de travail en discussion conviviale et c’était finalement le plus important.
« Alors qu’avons-nous sur la victime ? » Demanda t-il à Julien après avoir récupéré sa monnaie en pièces de dix centimes.
« Il s’agit d’un homme de trente quatre ans nommé Malik Benzara. On a retrouvé son sac avec ses effets personnels et ses papiers dans un coin du placard où il y avait son corps. 
Français tunisien ayant la double nationalité. Une compagne et des jumelles de trois ans. Il a travaillé en tant qu’ingénieur pendant deux ans dans la société chinoise qui possédait les locaux, mais il a démissionné il y a environ six mois. 
A priori rien de spécial à signaler. Aucun antécédent à part deux trois P.V pour excès de vitesse. Les quelques personnes que j’ai trouvé qui le connaissaient disent de lui que c’était un homme très bien, calme, gentil, toujours souriant, très discret sur sa vie privée. Cependant ils ne l’avaient pas vu depuis six mois et ne comprennent  pas ce qu’il faisait là. Je vais continuer à interroger les employés, peut-être que je découvrirais un truc intéressant. Je te tiendrai au courant. »
« Merci Julien, essaye d’en savoir plus sur sa vie privée, Valérie penche pour l’hypothèse du crime passionnel donc, vois s’il n’avait pas une maîtresse ou interroge sa femme pour savoir s’ils s’entendaient bien. »

On avait installé les deux femmes avec les déménageurs dans un bureau fermé, afin qu’ils patientent avant leur interrogatoire. Celle qui avait découvert le corps, ne pouvait plus s’arrêter de pleurnicher, et ses petits gloussements semblaient énerver tout le monde. 
Sa respiration était saccadée et elle hoquetait entre chaque mot, alors qu’aucune larme ne sortait plus de ses yeux. 
Elle était passée par tous les stades. Après avoir hurlé en découvrant le cadavre elle était restée prostrée, les mains sur la bouche pendant un long moment. 
Une fois sortie de cette torpeur elle était tombée dans l‘hystérie, pour terminer par une longue lamentation qui n’en finissait plus. 
Les hommes semblaient moins sensibilisés par la situation, l’un regardait sa montre compulsivement, pendant qu’un autre se rongeait ce qui lui restait d’ongles. Le troisième demandait sans arrêt si, enfin, il pourrait aller fumer une cigarette, en pestant qu’on ne pouvait séquestrer les gens impunément, et qu’il se plaindrait aux autorités compétentes.
Elsa était assise les jambes croisées et ne bougeait pas. La patience était une de ses principales qualités et rien ne transparaissait de son visage, calme et serein.
Raphaël observa de loin ces personnes qui jouaient un rôle majeur dans le déroulement de son enquête. Il avait appris, par expérience, qu’il ne fallait pas chercher très loin du lieu du crime  pour trouver les réponses aux questions décisives, qui ? Pourquoi ? Et comment ? 
Leurs attitudes, leurs expressions, leurs positions corporelles, durant cette attente, tout était important à ses yeux et pouvait déterminer la suite de son enquête. 
Dans un moment comme celui-ci, très peu de personnes sont réellement capables de cacher leur culpabilité, même si elles en sont persuadées. Il les scruta un à un, et essaya de pénétrer leur âme à travers leur corps. 
Chacun avait sa propre histoire, une vie entière qui se cachait derrière chaque présence, leurs esprits étaient habités par leur quotidien. 
Des souffrances, des problèmes, des traumatismes mais aussi des bonheurs, des êtres auxquels se rattacher, se cramponner et des êtres à aimer. Il essaya d’imaginer quelle vie se cachait derrière chacun d’eux, ce qu’ils retrouveraient en quittant cet endroit, à quoi ils occuperaient leur temps.  
Il fixa son attention sur l’homme qui ne cessait de demander à fumer. Ses mains étaient grandes, puissantes, mais sales, abîmées et jaunies par le tabac. Il était grand et fort, mais ses yeux étaient cernés et rougis par la fatigue. Son visage, jaunâtre, recouvert d’une barbe de trois jours et parsemé de rides d’expressions profondément creusées, était rongé par l’inquiétude.
Raphaël remarqua qu’il tripotait un objet et en observant plus attentivement il reconnut le tout dernier portable de la marque Peper. Il valait au bas mot neuf cents euros et peu de gens pouvaient se le payer. Il avait les nerfs en pelote et une grande violence se dégageait de lui. 
Son attention semblait portée sur quelque chose qui se passait ailleurs. Il avait l'air absent de la pièce mentalement, et la seule chose qui ramenait son attention parmi ses camarades était son irrépressible envie d’en griller une. 
Sa femme l’avait peut être quitté la veille ? Elle trouvait qu’il se laissait trop aller, il ne l’attirait plus et son odeur de tabac froid la dégoûtait. Ou alors il l’avait trop délaissée et elle avait fini par trouver un amant. Des événements qui paraissent banal, mais qui lorsqu'ils arrivent, sont un cataclysme émotionnel et donnent l’impression d’être la pire chose qui puisse se passer !  
Une intuition éclaira Raphaël, le genre d’intuition qu’il avait souvent, qui s’imposait à son esprit sans qu’il ne sache trop d’où elle venait. 
Il comprit en un éclair qu’il avait affaire à un homme rongé par l’alcoolisme. Il ne put s’empêcher de le plaindre, quelqu'un venait de mourir, presque sous ses yeux et lui, restait obnubilé par son envie, qui prenait toute la place et l’obsédait. 
Raphaël eut pitié de lui et fit signe qu’on le laisse aller fumer dans une autre pièce puis il porta son regard sur un autre témoin. 
Elsa attira son attention tout particulièrement : Ses longs cheveux auburn, chatoyants et parsemés de superbes boucles ondulantes en une épaisse crinière, le fascinèrent tout de suite. Elle croisait les jambes, des jambes fines et blanches comme du lait, et balançait légèrement celle qui pendait nonchalamment. Son regard semblait très loin et perdu dans ses pensées, sa tête était appuyée dans la paume de sa main ce qui lui donnait un petit air mélancolique qui la rendait fragile. 
Malgré tous les efforts qu’elle semblait faire pour cacher son émoi, elle semblait triste et perdue. Les images qui passaient devant se yeux la faisaient souffrir et des souvenirs douloureux remontaient à la surface comme des larmes.
Raphaël se retrouva devant une peinture de Caravage ou du Tintoret
Il se dégageait d’elle un mystère et un charme envoûtant qui le troubla. 
Il aurait pu rester des heures à admirer cette pureté et cette beauté incroyable. Comme envoûté il se senti touché en plein cœur et eu l’impression de connaitre l’âme de cette femme, d’être proche d’elle, comme si tous les deux faisaient partie d’un tout et qu’une fois réunis, ce qu’ils avaient de brisé en eux allait se ressouder. Jamais il n’avait connu ce sentiment auparavant, il s’était senti connecté à elle instantanément, comme liés par un destin commun. 
Il n’était pas du genre fleur bleue et toutes ses théories à l’eau de rose l’avait toujours ennuyé, mais là, c’était différent, c’était vrai, puissant, soudain et incompréhensible. 
Elle leva les yeux sur lui et un éclair en sortit. Elle s’était sentie observée et maintenant elle le regardait avec un sourire au coin des lèvres. 
Son visage était devenu lisse et froid, son corps s’était raidi et mis en position défensive, une incroyable force se dégageait soudain d’elle.  La femme fragile, avait laissé place à une guerrière aux aguets prête à bondir, et le contraste surpris tellement Raphaël, qu’il eut besoin de s’asseoir une seconde. 
Il reprenait ses esprits lorsque son collègue Julien réapparut. Celui-ci lui demanda si tout allait bien, lui dit qu’il était tout pâle et lui proposa un petit morceau de chocolat pour le revigorer. Décidément, il était en train de dévaliser les distributeurs de cette société. 
Raphaël se remit sur pieds et le remercia, tout allait bien, il avait juste eu un petit malaise. Il ne dormait pas très bien ces temps ci et il avait du mal à tenir le rythme. 

Julien avait apprit des choses intéressantes. Il avait retrouvé parmi les employés, l’un des meilleurs amis de la victime, un certains Alfred. Celui-ci lui avait affirmé que la victime avait eu une liaison, avec une autre employée qui avait duré environ six mois. Il avait quitté sa femme et ses enfants pour elle, et finalement il avait quitté sa maîtresse aussi. 
Raphaël pensa en lui-même que c’était un drôle de type. Il félicita Julien en lui demandant de lui amener la maîtresse et la femme illico presto, tout en évitant qu’elles se croisent. Il ne voulait pas assister à un pugila, il savait à quel point les femmes pouvaient  être redoutables entre elles. Julien lui répondit que la maîtresse n’était pas loin étant donné qu’elle faisait parti des témoins.

« Drôle de coïncidence n’est ce pas ? Tiens c’est elle ! » Dit-il en pointant Elsa du doigt. 
« Elle ne pourra pas nier, il m’a donné une photo d’eux, ils avaient fait un week end à quatre à Etretat. Chacun avec sa maîtresse ! Pas mal non ? »

Raphaël ne put répondre, il aurait dû être satisfait tant ces informations faisaient avancer l’enquête. Il semblait clair que cette femme était mêlée à cette affaire. Pourtant, il était sombre et inquiet. Tout ceci prenait une nouvelle tournure et il sentait que cette affaire aurait quelque chose de décisif dans sa vie. C’était son histoire qui était en train de s’écrire et son destin qui s’accomplissait. Il sentait qu’une force déterminante décidait au dessus de lui, et eut pour la première fois de sa vie l’impression qu’il ne pourrait plus rien éviter. 




Le week end d’Elsa avait été rude. Pour chasser son angoisse, elle avait nettoyé son appartement dans les moindres recoins et avait passé tous les murs à l’eau de javel. 
Le soir, l’odeur avait été tellement forte et insupportable  qu’elle n’avait plus pu respirer et qu'elle avait été obligée de prendre une chambre d’hôtel pour la nuit. 
Son image continuait à l’obséder. Elle le voyait devant ses yeux comme s’il était vraiment là. Parfois elle se surprenait même à lui parler, à lui raconter ce qu’elle faisait, comme avant, lorsqu'il lui téléphonait. 
Il l’appelait plusieurs fois par jour et ils se racontaient tout ce qu’ils avaient fait, vu , entendu et vécu. A l’époque, elle ne supportait pas d’être loin de lui. Elle s’était habituée depuis à l’absence, et maintenant, s’était résignée. Elle ne le verrait plus jamais. 

Il avait débarqué un jour dans son bureau, grand, beau, fort et l’avait regardée de ses yeux marron et profonds. Elle était habituée à ce qu’on la regarde et avait fait comme ci de rien n’était, mais jamais, on ne l’avait regardée comme ça auparavant, avec autant d’intensité, de tendresse, de calme et de force. Habituellement, elle se sentait mangée des yeux et toujours s’en dégageait quelque chose de malsain. Elle avait appris à se forger une carapace, et avait développé pour ces regards, une répulsion si puissante, qu’elle l’avait transformée en mépris et s’évertuait à punir les hommes qui la regardaient ainsi.
D’une manière générale, elle détestait les hommes, elle les méprisait. Des êtres faibles, qu’elle avait dû protéger comme une gentille fifille, lesquels à la moindre occasion l’avaient humiliée et remerciée par leur ingratitude.
 Lorsqu’elle avait compris qu’ils étaient comme ça et qu’ils ne pouvaient s’empêcher de rabaisser et de martyriser les femmes qui étaient gentilles avec eux, qu’ils demandaient qu’on soit gentille et présente mais que, lorsqu'on l’était, ils nous méprisaient et nous trouvaient trop collante. Lorsqu'elle eut intégrée cela, elle changea d’attitude et cessa à jamais d’être gentille. Elle était devenue éblouissante et forte, forte comme un homme. 
Son physique était avantageux et elle avait travaillé son attitude afin de devenir la femme fatale et mystérieuse qui intrigue et attire. 
C’était elle maintenant qui jouait et méprisait. Ils étaient fous d’elle, l’adoraient, la vénéraient, la couvraient de cadeaux, de fleurs et l’envahissaient de leur amour baveux et répugnant. 
Lui était différent. Enfin du moins, elle le pensait, au début. Elle s’était laissé aller dans cette histoire d’amour, avait baissé la garde, et était redevenue la femme tendre et soumise qu’au fond elle était. Il l’appelait son trésor, sa chérie, son ange, il était présent, doux et fort. 
Pour la première fois, on prenait soin d’elle sans qu’elle ait besoin de faire quoi que ce soit en échange ; juste comme ça, pour le bonheur d’être auprès d’elle. 
Elle avait cru que c’était vrai, qu’il l’aimait vraiment et pour ce qu’elle était. 
Il lui avait donné l’impression de la voir à l’intérieur, la vraie elle, celle qu’elle s’était évertuée à cacher sous des couches de froideur, de mépris, de grâce et de superficialité. 
Elle avait cru en lui et en un amour profond.

Jusqu’à ce jour où son téléphone avait sonné un matin en pleine rue, comme un gong sur sa vie. Lorsqu'elle y repensait, son sang se glaçait, ses jambes se remettaient à trembler et ne la soutenaient plus. 
A l’autre bout du fil : une voix rauque et abîmée par la cigarette. 
Une voix de femme si grave et si masculine qu’elle en fut d’emblée intimidée. 

«  Excusez moi de vous appeler comme ça, mais je viens de tomber sur un message de vous, sur le téléphone de mon mari. Malik, c’est mon mari, vous êtes au courant ? Vous savez qu’il est marié et qu’il a deux enfants ? » 

Elle avait failli s’évanouir en pleine rue et le téléphone était tombé par terre, se brisant en mille morceaux. Après cela, elle n’avait pu se résoudre à le quitter, mais les choses n’avaient plus jamais été les mêmes. 
Pour finir, c’est lui qu’il l’avait quittée en lui marmonnant qu’il ne l’aimait plus et qu’il avait besoin d’être seul. 

« Tu n’y es pour rien, ne t’inquiètes pas, ce n’est pas toi, c’est moi, toi tu es parfaite. » 

C’était à ce moment là qu’elle avait pris sa décision. Elle n’avait pas supporté d’entendre ces phrases à nouveau. Ces excuses que l’on dit pour rompre avec quelqu’un  pour soi disant ne pas lui faire de mal, alors que c’est simplement pour ne pas passer pour une ordure. 
C’était bien elle le problème. En réalité il ne l’aimait pas telle qu’elle était vraiment, mais juste pour ce qu’elle représentait. Pour sa beauté, son intelligence, la vie qui émanait d’elle. 
Il ne l’avait jamais vraiment aimée. Elle n’était qu’un jeu pour lui, une distraction passagère, une évasion à son petit couple ennuyeux et routinier. 
Il avait fini par se lasser et par ne plus voir que ses petits défauts. 
Lorsqu’elle avait réalisé tout ça, et qu’elle eut prit conscience qu’elle s’était rabaissée et humiliée devant cet homme, la rage, la colère, la haine emplirent son cœur et chaque petite parcelle de son corps.
 La bête féroce qui vivait en elle, cet alien, qu’elle avait réussi à calmer, se réveilla beaucoup plus fort et puissant que jamais. 
Un jour, en entendant son père essayer de séduire une de ces amies, elle avait eu cette réflexion: 
«  Les hommes ne pensent visiblement qu’avec leur sexe, autant en profiter et se servir de ça pour les mettre à ma merci ». 
C’est ce qu’elle avait fait, et c’est comme ça qu’elle l’avait attiré dans ses filets. C’est comme ça, qu’elle avait réussi à se venger.



Raphaël s’assit en face d’elle, dans ce bureau vide, qu’il avait réservé aux interrogatoires. 
Seule une petite table en bois blanc les séparait. Une immense baie vitrée donnant sur la Seine et le parc de l’Ile Saint Germain, laissait rentrer des lumières d’automne rouge et or.  
Le soleil brillait dehors et illuminait la pièce d’une douce chaleur.
Elsa semblait détendue et un large et franc sourire éclairait son visage, pendant qu’elle fixait d’un air étrange son sac à main posé sur la table. 
Ses jolies mains posées sur ses genoux et ses jambes croisées sous la table, elle l’avait attendu, l’air résigné et prête à affronter son destin. Ils se regardèrent un instant, silencieux, comme intrigués par la présence de l’autre, chacun dans l’attente d’un signe, d’un geste.
Elsa le scrutait des ses grands yeux et il eut l’étrange impression qu’elle voulait pénétrer son âme, analysant chaque petite cellule de son être. Il se sentit gêné par ce regard et brisa la glace.

« Mlle, je ne vais pas y aller par quatre chemins… »
« Elsa, appelez moi Elsa, je vous en prie. »
« Comme vous voudrez. » Il pensait que cela n’avait pas grande importance et que ça l’aiderait peut être à se confier. «  Elsa donc… »
« Et vous c’est quoi votre nom ? » Lui demanda-t-elle avec un petit air mutin, qui la faisait ressembler à une enfant et qui acheva de faire fondre Raphaël.
« Raphaël. Mais s’il vous plait, arrêtez de m’interrompre tout le temps. »
« Vous êtes vraiment très beau vous savez ? »

Visiblement elle le provoquait, il ne fallait pas qu’il rentre dans son jeu. Elle sentait qu’il était troublé et elle essayait de le déstabiliser. Elle était sur le point d’y arriver, car il se sentait incroyablement attiré par elle. Une force quasi incontrôlable envahit tout son être, comme un feu sacré qui s’allumait dans son ventre. 
Tel un éclair, l’idée surgit dans son esprit.  Il pourrait tout quitter pour elle, il l’emmènerait sans lui poser de question, pourquoi, comment, il s’en fichait ! Tout ce qu’il voulait, c’était pouvoir se blottir contre elle, s’enivrer de son odeur fleurie et dormir, dormir paisiblement comme un enfant. Ça ne lui était pas arrivé depuis tellement longtemps, a bien y réfléchir depuis la mort de sa mère.
 Il était si fatigué. Fatigué de tout ça, de toute cette mascarade, de cette vie. 
Il se sentait protégé auprès d’elle, comme dans un cocon. Il aurait voulu la protéger aussi, ne pas la blesser. Elle semblait tellement forte, vue de l’extérieur, mais il sentait sa fragilité. Il voyait la petite fille, blessée, trompée, humiliée. Elle devait être aussi perdue que lui pour en arriver là.

« Il n’y a ni caméra, ni micro dans cette pièce et je peux vous garantir que personne ne nous observe en ce moment. Ce n’est donc pas un interrogatoire formel et nous pouvons considérer qu’il ne s’agit que d’une conversation entre deux adultes. »

Il disait la vérité. Il n’avait prévenu personne de ce qu’il allait faire. Que voulait-il faire exactement ? Il ne le savait pas lui-même. Pour la première fois de sa carrière il se retrouvait confronté à ce choix. On l’avait mis en garde sur le danger de s’impliquer émotionnellement avec une personne liée à l'enquête, et jamais il n’avait pensé qu’une telle chose le concernerait un jour. Il avait mis de côté les émotions et ne s’était plus senti capable d’en avoir vraiment. Elle avait ouvert la boîte de Pandore. Sans en être consciente, elle avait réveillé son cœur endormi et il se sentait en danger. Les émotions brouillaient son esprit et il n’était plus l’homme de sang froid qui avait gravi si rapidement les échelons de la police. 
Il commençait à réfléchir à une stratégie pour la sortir de là. Il pourrait trouver un autre coupable, ou pour la première fois de sa carrière n’en trouver aucun. Il échouerait et toute cette affaire resterait un mystère.

« Je sais ce que vous avez fait Elsa. Je sais que vous avez tué cet homme. Comment je le sais ? Je n’en sais rien. Et je ne sais pas, comment, ni pourquoi vous l’avez fait. La solution s’est imposée à moi, et dès que je vous ai vue, j’ai su. »

Elsa caressa son sac à main d’un air étrange et dit : 
«  C’est intéressant ce que vous me dites Raphaël, mais j’avoue que je ne comprends pas de quoi vous me parlez. »

«  Bien sûr que vous ne comprenez pas ! Moi, j’aimerai comprendre comment vous avez pu en arriver là. Vous êtes belle, intelligente, visiblement promise à un bel avenir. Pourquoi tout compromettre pour cet homme ? Que vous a-t-il fait ? Que vous est il arrivé ? Vous devez avoir besoin de vous confier? Je sais que vous n’êtes pas aussi forte que ce que vous voulez montrer.»

« Vous savez ? Comment pouvez-vous prétendre savoir quoi que ce soit de moi ? » 
Son visage se transforma et la rage déforma ses traits harmonieux. 

« Personne ne s’est jamais intéressé à ce que je suis réellement, pourquoi serait-ce votre cas ? Vous n’êtes qu’un homme, et comme les autres hommes vous devez sûrement être égoïste et rempli de vous-même. Pourquoi seriez-vous différent ? »

« Vous sentez en vous-même, que je suis différent. Que je ne vous veux aucun mal, au contraire, je veux vous aider. »

« Je ne fais plus confiance à mon ressenti envers les hommes. Je me suis trompée alors… »

« C’est ce qui s’est passé n’est ce pas ? Vous avez cru en la victime. Vous lui avez fait confiance et il vous a trahi n’est ce pas ? »

« Tristement banal, je dois dire.» 

Ils restèrent un instant silencieux, afin de laisser leurs âmes se remplir de la tristesse de l’aveu qui suivrait.

« Je ne comprends toujours pas ce qui m’a pris. Je me suis laissé déborder par la haine. J’étais si humiliée, si méprisée. Je l’ai tellement aimée, je suis si fatiguée aujourd’hui  j’ai envie d’en finir avec tout ça. »

« Alors, racontez-moi. Ça vous fera du bien et après tout sera fini. »

« Vous avez raison, tout sera fini. Notre histoire fut très chaotique, il était encore plus ou moins avec sa femme je crois. Je sais que ce n’est pas très moral, mais lorsque j’appris qu’il était marié, j’étais déjà sa prisonnière car je l’aimais et ne pu me résoudre à le quitter. Je souffrais beaucoup de cette situation car je suis quelqu’un de passionné, jalouse et exclusive. Je pense qu’il a dû se lasser, ma beauté ne suffisant plus à compenser ma forte personnalité. Il me quitta, de la façon la plus grotesque qui soit et déclencha une folie meurtrière en moi qui ne se calma que lorsque je le vis, un trou entre les deux yeux gisant dans son sang. J’avais envie de lui faire mal, qu’il souffre autant que moi. Je ne supportais pas l’idée qu’il ait repris sa petite vie, tranquillement, comme si rien ne s’était passé, en m’excluant totalement de son quotidien. C’était facile de le revoir et de lui donner rendez vous. Les hommes étant pervers et perdant tout sens commun lorsqu’il s’agit de sexe, je lui fis croire que je voulais qu’il me fasse l’amour une dernière fois. Il était tellement prétentieux à ce niveau là, je le flattais en lui faisant croire que c’était merveilleux et que je ne pouvais pas m’en passer, qu’il fallait que je vive cette incroyable extase une dernière foi ! Laissez-moi rire franchement ! Quel imbécile. Je lui donnais rendez vous le vendredi soir ici même. Je voulais vivre ça dangereusement et réveiller nos souvenirs, quand au début de notre romance, nous nous donnions des rendez vous clandestins dans les placards ou les escaliers. Je le rassurais en lui disant de ne surtout pas s’inquiéter, je ne ressentais plus rien pour lui et je voulais justement tirer un trait sur nos sentiments. Je voulais finir en apothéose, et sur ce point là je ne lui mentais pas.
La suite vous le connaissez. J’avoue y avoir pris du plaisir, je ne le regrette pas, c’est tout ce qu’il méritait. Il est temps que ce genre d’individu soit puni comme il se doit. »

Raphaël à cet instant eut peur de l’être qui se trouvait en face lui. Ce n’était pas la femme qu’il avait cru connaître. C’était un être froid et maîtrisé. Une nouvelle personnalité avait prit place et il eut à ce moment là la conviction que c’était son vrai visage. Il se trouvait en présence d’une vraie psychopathe. Incapable de ressentir la moindre compassion pour qui que ce soit. Elle ne connaissait pas le regret et ne respectait pas la vie humaine. Ce n’était sûrement pas son premier meurtre. Elle s’en était tirée à chaque fois car elle était devenue experte en manipulation et en dissimulation. 
Il avait failli se faire avoir lui aussi. Elle était incroyable  de noirceur, et il l’admirait presque, tant elle avait si bien joué la comédie. Il voyait clair dans son jeu à présent et il ne la laisserait pas s’en tirer comme ça.

« Je lis en vous Raphaël, et je comprends que vous avez changé d’opinion à mon égard. Vous voyez qu’à présent vous ne voulez plus mon bien ! Je savais que ça se passerait ainsi. C’est la raison pour laquelle j’avais assuré mes arrières. »

Elle sortit de son sac à main le silencieux qui avait déjà servi à tuer la victime. Ceci expliquait bien sûr, pourquoi elle accordait autant d’importance à son sac, et pourquoi elle avait pris soin de le laisser posé près de sa main sur la table. Il ne s’était pas méfié, bien sûr, depuis le début il ne s’était pas méfié d’elle, ne soupçonnant pas une seconde à qui il avait affaire.

« Vous vous êtes cru plus fort que moi n’est ce pas ? Vous pensiez que vous étiez très malin ? Que vous alliez me sauver ? Comme vous pouvez le constater, je n’ai pas besoin d’être sauvée, et encore moins par un homme. Je vous méprise tellement, si vous saviez. Vous êtes si prétentieux, vous vous croyez plus beaux, plus forts que tout. Vous pensez que vous pouvez faire du mal et traiter les autres comme des moins que rien sans aucune conséquence. Vous vous prenez pour des Dieux. Vous devez être puni pour ça. »
Elle pointait son arme sur Raphaël, qui avait levé les bras en signe de défense et de protestation.

« Je ne suis pas comme ça et vous le savez ! »

« Vous êtes exactement comme tous les autres et c’est d’ailleurs ce qu’ils disent tous avant de mourir. »

C’est à ce moment là que Valérie apparut dans l’entrebâillement de la porte. Raphaël eut tout juste le temps de lui crier de ne pas bouger, qu’une étincelle sortit de l’arme qui était pointée sur lui. Valérie réagit instantanément, et se précipitant sur Raphaël, ils tombèrent à terre en un seul mouvement, accompagnant le bruit sourd du coup de feu et le cri de rage d’Elsa. 
Un quart de seconde plus tard, elle détalait dans le couloir qui menait à la porte de l’escalier. 
Il lui fallait descendre huit étages avant de voir la porte de la liberté. 
Julien, alerté par les cris, la prit en chasse sans réfléchir. Ne voyant que son ombre sur les murs jaunis de la cage d’escalier, elle avait un bon étage d’avance sur lui. 
Il pensait à la foule qui attendait devant l’immeuble, à tous ces innocents qui risquaient leur vie d’un instant à l’autre. Tout dépendait de lui et de sa capacité à attraper cette femme. 
Il regretta amèrement les gâteaux dont il s’était empiffré ces derniers jours et décida par la même occasion d’arrêter de fumer. Il donnait toute son énergie et poussait de plus en plus fort sur ses cuisses. Il la voyait à présent et sa chevelure le frôlait presque, elle faiblissait et Julien en était encouragé. Il la saisit par les cheveux et elle poussa un cri de douleur qui fit froid dans le dos. Il l’empoigna par les bras et sans pitié les lui tordit derrière le dos. Il la tenait, il avait gagné et se réjouissait de la maîtriser de ses bras musclés. 
Elle le regardait avec un mélange de haine et de désespoir, continuant à se débattre, essayant de le mordre et lui crachant au visage. 
Les menottes aux poignets, elle s’avoua vaincue, se calma en essayant de reprendre une digne prestance, avant d’affronter la foule des gens qu’elle avait côtoyés ces derniers mois.

Raphaël, sonné par le choc frontal entre lui et Valérie, s’était évanoui quelques secondes. Étourdi, il reprit doucement ses esprits et l’horreur de la scène qui venait de se dérouler le saisit.
Valérie était allongée sur lui et ne bougeait plus. 
Il la repoussa légèrement et la posa délicatement sur le dos. Il aperçut une tache de sang sur son ventre qui se propageait rapidement. Il essaya de la réveiller, mais elle ne réagissait pas. Ses yeux étaient clos et sa poitrine semblait inerte. Elle ne respirait plus. 

Il se releva et une larme chaude coula lentement sur sa joue. 
C’était la seconde fois qu’une femme qui l’aimait donnait sa vie pour lui, le méritait il ? En valait il la peine ? 
Elles l’avaient cru, en  accomplissant ce geste fou, ce sacrifice de leurs vies. 
Il sentait ce poids peser sur ces épaules, cette lourdeur infinie, cette terrible responsabilité.
Comment fallait il qu’il vive avec cela ? 
Quel était ce destin qui l’attendait et qui méritait autant de protection. 
Il ne s’en doutait pas encore mais il lui faudrait accomplir sa vengeance.